L'histoire de la passion de Luc Jacquet pour l'Antarctique remonte à 1992, alors que le futur ornithologue faisait ses études à Lyon. Il vit un jour une annonce sur un panneau à la faculté, qui cherchait quelqu'un prêt à partir plusieurs mois en Terre Australe pour faire des recherches et rapporter des images de manchots empereurs. Il se souvient: "Etant d'un naturel autant porté sur la nature et l'aventure que sur le baroud et les conditions extrêmes, ce genre de proposition ne pouvait que m'intéresser. D'ailleurs, déjà à cette époque, il s'agissait de faire des images de manchots empereur."
Le projet de La Marche de l'empereur a été long et parfois difficile. La parole au réalisateur Luc Jacquet: "L'empereur, c'est le plus grand, le plus beau. Il fallait que j'ai la carrure, et puis il fallait les moyens. J'ai commencé à écrire l'histoire il y a quatre ans et le projet a mûri peu à peu, au fil des mois. Et puis il y a eu l'intérêt immédiat et sans réserve des producteurs. Comme on était en août et qu'il fallait partir en janvier, tout s'est enclenché à 200 à l'heure. D'un coup tout devenait une aventure rare, à tous les niveaux de fabrication. Une gigantesque conjonction d'envies concordantes avec à la clé une détermination et une énergie similaire à une opération commando. (...) j'avais l'histoire, pure, simple, sans tricherie dès qu'il s'agit de survie, d'un peuple maudit quelque part. Je savais précisément où et quand tourner. Mon découpage était fait, la scénarisation avait été minutieusement élaborée et tout ce qui restait à faire, c'était de parier sur les acteurs."
Avant de réaliser ses premiers documentaires, Luc Jacquet n'avait jamais tenu une caméra de sa vie. Il partit donc à Zurich, pour être formé au 35 mm, durant une dizaine de jours. Il devait notamment s'entraîner à filmer des manchots en carton qui étaient disposés sur les glaciers des Alpes.
En Antarctique, l'homme se déplace le plus souvent à pied, ce qui exige de très bonne condition physique. C'est ce qu'a dû faire l'équipe de tournage du film, qui devait tirer un traîneau avec près de 60 kg de matériel, tout en marchant dans une poudreuse de près d'un mètre de hauteur. Les caméras ont quant à elles dû être préparées pour résister au grand froid, les températures minimales atteignant tout de même les... - 30°C !
Les deux caméramen, Jérôme Maison et Laurent Chalet, ont failli perdre la vie au cours du tournage. Ils ont été pris dans un blizzard, que l'on appelle le White-Out, c'est-à-dire lorsque la neige est en suspension dans l'atmosphère. Ils n'ont eut la vie sauve que grâce à leurs GPS, localisés par une caravane envoyée depuis la base française de Dumont d'Urville. Alors que la visibilité était nulle, ils ont mis six heures pour faire 3 km, en regagnant la base. Les deux hommes s'en sont tirés avec quelques gelures superficielles.
La majeure partie des images a été tournée par le duo formé de Jérôme Maison et Laurent Chalet, qui ont hiverné pendant de long mois. Luc Jacquet, de son côté, a tourné des scènes durant cinq mois, scénarisant par ailleurs le film, supervisant le tournage dans son ensemble et s'occupant du montage. Au total, le tournage aura duré un an (la durée d'un cycle de manchot), 120 heures d'images ayant été nécessaires.
Alors que de nombreuses espèces animales nichent pendant l'été austral, seul le manchot empereur se risque à s'aventurer l'hiver en Antarctique, nichant en plein blizzard et jeunant pendant près de 115 jours. Sur ces terres désolées, sans âmes qui vivent, le manchot incarne alors "la frontière de la vie". Le réalisateur ajoute: "Il n'y a plus rien après le manchot empereur. On touche au domaine de l'abiotique. Il n'y a pas une cellule en Antarctique. Dans cet horizon blanc à perte de vue, il est le dernier guetteur, le dernier élément de vie de la planète. A supposer que cela ne soit pas déjà en soi une autre planète. Parce que si on est pas vraiment dans l'espace, on n'est plus vraiment non plus sur terre ! On est entre le réel et le fantastique."
La période de couvaison par le mâle est très longue. Alors que la femelle est partie au loin trouver de quoi manger, pour elle et son petit, le mâle vit et puise dans ses réserves de graisse accumulée. Lorsque la femelle revient enfin, il a perdu entre 12 et 15 kg.
Pour pouvoir filmer en toute quiétude les manchots empereurs, l'équipe du film s'est imposé une sorte de "code de bonne conduite". Il s'agissait d'être le plus discret possible, et de ne pas perturber la colonie de manchots. Ainsi arrivait-elle à gagner leur confiance, et pouvait les filmer au plus près. Durant la saison des amours, certains manchots esseulés, sans compagnes, s'aventuraient même sous la caméra, et cherchaient à séduire les membres de l'équipe...pour former un couple !
Privé de vol, le manchot est capable d'effectuer des plongées à 300 ou 400 mètres de profondeur, pendant plus d'un quart d'heure, alors que même s'il est un excellent plongeur, le pingouin ne reste pas plus de deux minutes sous l'eau. La famille du manchot (17 espèces, dont une au Galapagos) est celle des sphéniscidés. Le pingouin appartient quant à lui à la famille des alcidés. Par ailleurs, des deux espèces de pingouins existantes au monde, le petit pingouin, et le grand pingouin, disparu à cause des persécutions humaines, il n'en subsiste plus désormais qu'une seule, le petit pingouin Alca Torda, que l'on rencontre dans l'Atlantique nord seulement.
C'est Emilie Simon qui compose la bande originale du film. Récompensée par une Victoire de la musique (2004, catégorie "meilleur album de musiques électroniques/groove/dance"), la jeune artiste est arrivée très tôt sur le projet. Elle explique: "quand on m'a proposé le projet de La Marche de l'empereur, il se trouve que je travaillais justement sur une chanson intitulée Ice Girl, destinée à figurer sur mon second album ! Luc Jacquet et ses producteurs m'ont dit ce qu'ils attendaient de moi. On a défini les directions, les quatre ou cinq grands thèmes symboliques majeurs et tout s'est enchaîné assez rapidement. Une succession d'échanges: images contre musiques, musiques contre images...Les allers-retours se sont succédés. Il faut savoir qu'à ce moment-là, le film n'était pas encore monté dans sa continuité et chacun travaillait parallèlement à l'autre. En termes d'inspiration, il y a surtout eu l'effet immédiat des grands espaces totalement vierges, la notion d'une autre planète. Et là, ça m'a plu d'meblée !"
Le réchauffement climatique qui affecte la planète, a aussi de grave répercussion sur la vie des manchots. En Antarctique, comme au Pôle Nord, c'est la fonte de la calotte glacière qui menace tout un écosystème. Ainsi, en 2001, dans la Mer de Rosse, en Antarctique, "deux incebergs géants se sont détachés, bloquant les colonies de manchots Adélie dans leur recherche de nourriture, les obligeant à faire un détour de plus de 50 km. La même année, de nombreux poussins de manchots empereur sont morts noyés, suite à une débâcle précoce (banquise qui s'affine et finit par se morceller, devenant sujette aux remous de la mer), avant d'avoir appris à nager." Même si ces fontes prématurées restent malgré tout un phénomène naturel, ce dernier deviendraient récurrent en cas d'augmentation graduelle et continu de la température. Des études menées par la base française Dumont d'Urville ont révélées que "la colonie de manchots empereurs de Pointe Géologie a perdu 3000 couples en 50 ans; les taux de mortalité maximum correspondant aux années 76 et 80 qui coïncident avec le retrait maximal de la banquise".
La Marche de l'empereur a été sélectionné au Festival du film de Sundance pour 2005, dans la section "Special Screenings".