Après un premier film placé sous les auspices du néoréalisme et d’une attention inédite envers la condition féminine, Antonio Pietrangeli s’attaque à un nouveau registre avec Le Célibataire, comédie spécialement conçue pour Alberto Sordi, déjà grande star du comique italien. À l’inquiétude du regard porté sur le parcours de Celestina (Irene Galter) dans l’Italie d’après-guerre (Du Soleil dans les yeux, 1953), se substitue la force satirique du portrait de Paolo Anselmi (Alberto Sordi), célibataire hédoniste et fanfaron. Analysant le mouvement de libéralisation des mœurs dans l’Italie de la reconstruction depuis un point de vue désormais masculin, Le Célibataire constitue une preuve éclatante de la capacité de la comédie de mœurs à mettre en scène les angoisses qui accompagnent les transformations de la société italienne.
Loin d’oublier son passé de critique et l’engagement qui caractérisait ses revendications pour un cinéma réaliste tout au long des années 1940, Antonio Pietrangeli trouve dans la comédie l’occasion d’approfondir son analyse des rapports entre les sexes, et de s’inscrire de façon originale dans le renouveau du comique italien. À partir du Célibataire, il inaugure ainsi une collaboration féconde avec les scénaristes Ruggero Maccari et Ettore Scola, dont l’écriture satirique alimentera d’autres comédies comme Le Cocu magnifique (1964) et Annonces matrimoniales (1964), à travers lesquelles Pietrangeli apparaît comme l’un des principaux cinéastes à s’être intéressé aux ambiguïtés de la condition masculine dans l’Italie du miracle économique. Dans Le Célibataire, il sait tirer profit de la spécificité du jeu d’Alberto Sordi et de sa gestuelle nerveuse, pour faire de son agitation et de sa logorrhée le signe d’une angoisse existentielle : Paolo Anselmi est envahi de tics nerveux, et ne cesse de se toucher les cheveux ou de se regarder dans le miroir, comme pour s’assurer de sa propre existence.
Derrière la cruauté du comportement de Paolo Anselmi (Alberto Sordi) avec les femmes et sa mesquinerie, se révèle progressivement la misère de son existence solitaire dans la pension où il dû poser bagages après le mariage de son colocataire. Ses fanfaronnades de célibataire libertin créent ainsi un écart grotesque avec une réalité qu’il assume de plus en plus difficilement : le soir, pour exorciser son angoisse nocturne, il s’adresse à lui-même comme un enfant qui a peur du noir. Le personnage incarné par Alberto Sordi provoque ainsi un rire plus empathique que cruel ; son parcours révèle le pathétique d’un mode de vie qui n’est choisi qu’en apparence, peut-être par incapacité à s’adapter à une existence conventionnelle, mais sans doute aussi parce que tout ce qu’il rencontre autour de lui n’est qu’une solitude masquée de joie. C’est ce que suggère son rapport aux femmes, au sein des multiples relations esquissées : elles ne sont jamais considérées comme de véritables promesses de bonheur. Parce qu’il illustre la capacité de Pietrangeli à recomposer les genres au profit d’une interrogation existentielle subtile, Le Célibataire annonce la spécificité du registre de la comédie « à l’italienne », où le rire évoque souvent les situations les plus dramatiques. Le masque comique que Paolo Anselmi oppose préfigure déjà celui du personnage d’Adriana, dans le mélodrame Je la connaissais bien (1965).