Présenté en Sélection officielle au Festival de Cannes 2004, Moolaadé a décroché le Prix Un certain regard, du nom de la section dans laquelle il était projeté. Le jury était présidé par le producteur anglais Jeremy Thomas. Par ailleurs, le jury du prix oecuménique a décerné une mention à ce plaidoyer contre l'excision. Il est à noter que la projection de Moolaadé s'est déroulée en présence de Viviane Wade, épouse du président sénégalais Abdoulaye Wade, venue sur la Croisette pour "soutenir le cinéma africain et la culture sénégalaise".
Sembene Ousmane explique ce qu'est le Moolaadé, pratique qui donne son nom au film : "Moolaadé est un vieux mot pulaar [peul] mais dont l'équivalent existe aussi en mandingue et en wolof. Il exprime la notion de droit d'asile. Le Moolaadé est la protection accordée à quelqu'un en fuite. Il nous a été transmis par la tradition orale à travers les contes, l'histoires, les légendes et les énigmes que l'on raconte de génération en génération. Dans le film, des fillettes que l'on s'apprête à exciser demandent protection à Collé Ardo, une femme connue pour son refus de cette pratique. Le Moolaadé est une convention orale mais qui a une valeur juridique, reconnue par tous depuis des temps immémoriaux. Ses règles, ses lois et décrets sont gravés à jamais dans les consciences. Porteur de funestes présages, il est craint des hommes, des femmes et des enfants... Seule la punition publique du détenteur du Moolaadé permet d'en éloigner la menace."
Le cinéaste donne la signification de la Salindé, cérémonie rituelle au cours de laquelle les fillettes sont excisées : "La Salindé est un grand événement dans l'existence d'une femme, elle se tient en général tous les sept ans, sous le regard bienveillant des hommes (...) Durant les deux semaines qui précèdent l'entrée dans le bois sacré, les mères et les tantes préparent leurs filles psychologiquement. Celles-ci doivent supporter la douleur physique, sans crier, sans geindre (...) Maîtriser la douleur aiguë, chaude, est la preuve que, devenue femme, la jeune fille saura surmonter les tourments et les afflictions de l'existence (...) La Salindé élève la jeune fille au rang d'épouse. Elle l'installe au sommet de l'honorabilité, l'incorpore dans le cercle étroit des mères comblées et l'irradie en grande "royale". La femme excisée est symbole de pureté. Elle est l'honneur de son mari, de sa famille élargie. La Salindé permet aux hommes de contrôler la fidélité et la sexualité de leurs épouses."
Moolaade est le deuxième volet d'un triptyque baptisé "L'Héroïsme au quotidien". Il succède à Faat Kiné (2000), dans lequel Sembene Ousmane brosse le portrait d'une mère célibataire : renvoyée du lycée parce qu'elle était enceinte, Faat Kiné doit se battre au quotidien pour élever ses deux enfants et réussir sa vie professionnelle. Cette trilogie doit se clore avec un film sur la corruption, La Confrérie des rats. Dans un long métrage plus ancien du cinéaste, Emitai (1971), les femmes occupent déjà une place centrale : ce sont elles qui menent la résistance contre l'armée coloniale française, qui veut s'emparer du riz cultivé dans leur village de Casamance.
Moolaadé est dédié "aux mères, femmes qui luttent pour abolir cet héritage d'une époque révolue". Le cinéaste précise son point de vue sur l'excision, en rappelant que cette pratique est encore très courante de nos jours : "Je suis (...) un fervent partisan de l'abolition de l'excision. Depuis toujours. Et encore plus en cette période qui voit l'extension terrible du sida (...) En ce XXIe siècle commençant, les mutilations génitales féminines sévissent encore dans plus de vingt-cinq pays africains (Est-Nord-Ouest-Sud) sur les 54 membres de l'OUA reconnus par l'ONU. Le rituel de la Salindé est plus ancien que les trois livres saints révélés : le Talmud, la Bible et le Coran."
Si l'action de Moolaadé se situe au Sénégal, le film a en fait été tourné au Burkina-Faso. "J'ai parcouru la moitié du Sénégal et une bonne partie du Mali avant de me retrouver au Burkina Faso", se souvient le réalisateur."C'est là, à 400 km de Ouagadougou, que j'ai trouvé, niché au pied d'une chaîne de montagnes, le village dont j'avais besoin. C'est un village entouré d'un écrin de verdure, symbolique en quelque sorte de l'univers mandingue que je voulais recréer. Il se trouve à proximité du Mali et de la Côte d'Ivoire. C'est une zone où cohabitent de nombreuses cultures... L'architecture y est d'expression précoloniale." Tous les habitants du village ont joué dans Moolaadé. Souhaitant "que l'ensemble de la région participe au film pour donner une impulsion aux jeunes, le cinéaste a par ailleurs fait appel à des comédiens et techniciens burkinabés, sénégalais, maliens et ivoiriens. Ajoutons que le Burkina-Faso est un des rares pays d'Afrique dans lesques l'excision est interdite.
Moolaadé marque la troisième collaboration du cinéaste sénégalais avec le chef-opérateur français Dominique Gentil, qui avait déjà travaillé sur ses deux précédents films : Guelwaar et Faat Kiné. On retrouve ce directeur de la photographie au générique de films aussi différents que Le Peuple migrateur ou le triomphateur de l'année 2004 : Les Choristes.