Dans le quartier TiěXī Qū à Shenyang (en Mandchourie), au nord-est de la Chine, fut construit en 1934 le plus grand site industriel du pays. Au moment de l’occupation japonaise, ces usines servaient à fabriquer du matériel de guerre pour l’armée impérial japonaise.
Lors de l’instauration de la République populaire de Chine en 1949, les usines furent reconverties et réaménagées avec du matériel fournis par l’Union Soviétique (lui-même confisqué aux allemands pendant la Seconde Guerre Mondiale).
Plus de 150 usines étaient alors en activité, jusqu’au début des années 60, après la séparation sino-soviétique où la plupart des usines furent délocalisées dans le centre du pays. Au début des années 80, c’est le plein emploi dans les usines, allant jusqu’à atteindre le million d’ouvriers. C’est à la fin des années 90 que les usines commencent à fermer les unes après les autres, laissant sur le carreau des milliers d’ouvriers.
Wang Bing (Madame Fang - 2017) a filmé avec une simple caméra DV de 1999 à 2001 la lente agonie des entreprises d’État rendues obsolètes par l’économie de marché, nous montrant ces hommes dans l’incertitude et l’effondrement d’un système devenu archaïque et ces usines qui une à une, finissant inéluctablement par être démolies.
À l'ouest des rails (2003) 铁西区 est une immersion saisissante qui avoisine les 9h30. Découpée en 3 chapitres : "Rouille" (铁西区第一部分:工厂), "Vestiges" (铁西区第二部分:艳粉街) & "Rails" (铁西区第三部分:铁路), elle nous entraîne dans un incroyable voyage dans une Chine comme rarement on aura eu l’occasion de la voir.
Dans le 1er chapitre "Rouille" (4h), le réalisateur a filmé pendant dans plusieurs usines du complexe industriel, les fonderies de cuivre, de plomb ou encore de zinc, les usines de câbles, de placage sur plomb ou sur cuivre, ainsi que dans une ancienne usine de baïonnettes (qui a servi pendant la guerre) transformée par la suite en tôlerie. Devant les hauts fourneaux jusqu’à leur salle de repos, des vestiaires jusqu’au douches communes, il filme la lente descente aux enfers et le quotidien de ces ouvriers. L’immersion est totale, le bruit y est assourdissant, il ne manque plus que le l’odeur et le goût âcre au fond de la gorge, pour imaginer à quel point leur santé (notamment des problèmes respiratoires et les nombreuses contaminations au plomb) et leur espérance de vie pouvaient être impactées. Un bien triste sort réservé à cette classe ouvrière alors que, quelques décennies plus tôt, elle était glorifiée par la Révolution chinoise.
Dans le 2ème chapitre "Vestiges" (3h), le réalisateur s’intéresse aux résidents des allées « Arc-en-ciel », un quartier populaire de Shenyang. Dans les années 30, il accueillait de nombreux chinois venant travailler dans les usines japonaises. Lors du tournage, la population était essentiellement composée d’ouvriers employés dans les usines des alentours (vouées à une fermeture imminente). Non seulement ces derniers finiraient tôt ou tard par perdre leur travail mais ils se voyaient aussi être chassés de chez eux par les autorités (ces derniers souhaitant raser l’intégralité des habitations pour y faire construire des cités HLM, ils n’avaient d’autres choix que de les extrader). Le réalisateur les suit dans leur quotidien, les relations amoureuses des jeunes et l’épicerie qui sert de lien social. Ils vivent tous de façon très précaire dans un bidonville qui ne reflète absolument pas le nom du quartier dans lequel ils vivent entassés. Des conditions de vie très précaires et pourtant, les habitants semblent déterminés à rester chez eux plutôt qu’à vivre au chaud dans le confort d’un appartement neuf proposé par l’État (qu’ils jugent bien trop petit pour tous les accueillir).
Enfin, dans le 3ème chapitre "Rails" (2h30), le réalisateur a suivi le quotidien des cheminots sur les 20 km que compte le chemin de fer pour le fret, construit au même moment que le complexe industriel et qui sert à relier l’ensemble des usines par le biais de deux réseaux ferroviaires bien distinct, le premier pour les matières premières et le second pour les produits finis. On retiendra de ce dernier chapitre, le portrait d’un père (surnommé le « vieux Du ») et son fils Yang Du, qui tentent de survivre en glanant ici et là tout ce qui peut l’être.
À l'ouest des rails (2003) est un film-fleuve, une œuvre patrimoniale nécessaire pour les générations futures (et pas uniquement les chinois). Bien qu’ils aient pour fil conducteur le quartier TiěXī Qū, ces trois chapitres peuvent être vues séparément (mais pour une meilleure appréciation et immersion, je vous recommande de les voir d’une traite). Le film témoigne d’une triste réalité et est par la même occasion, la mémoire du temps qui passe, comme pour mieux nous rendre compte à quel point la Chine évolue vite, parfois au détriment de ses concitoyens, comme c’est le cas ici.
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