ATTENTION QUELQUES SPOILERS !!
Pour commencer, je parie mon coffret Jean-Luc Godard que personne ici n'a vu le film de Liev Schreiber dont je vais tout de suite vous dire ce qu'il vaut. Mais dans une minute tout de même... Bon parce que c'est vrai, quoi, un film avec Elijah Wood réalisé par le Cotton Weary de Scream 1,2&3 qui ne reste à l'affiche que une semaine en France et qui est méprisé par le public, vous trouvez ça normal ? En tout cas moi non, d'autant plus que le film en question est un petit chef d'oeuvre d'une tendresse qui fait chaud au coeur.
Comme vous avez pu le constater en lisant le synopsis, le film parle d'un jeune juif qui part à la recherche d'un dame qu'il ne connait pas. Ce jeune homme a une particularité : il est plein de phobies et de manies. Il ne supporte pas la vue d'un chien et conserve tout ce qu'il trouve dans des sachets en plastique. Ce qui peut sembler comique à dire comme ça bascule dans un sérieux tout à fait de mise dans ce film lorsque l'on comprend le pourquoi du comment de cette étrange habitude, lorsque le chauffeur de Jonathan (chauffeur qui le conduit à travers l'Ukraine en compagnie de son grand-père à la recherche d'Augustine) lui demande "Pourquoi faites-vous ça ?" et que Jonathan répond "Parce que parfois j'ai peur d'oublier"... À n'en pas douter, Tout est Illuminé est un film sur la mémoire. Et un beau. Le film se réfère même à Boltanski lors de la découverte d'Augustine qui conserve tout ce qui reste de la communauté juive de Trachimbrod (endroit rasé de la carte de l'Ukraine lors d'un massacre perpétré par les allemands) dont elle faisait parti dans des boîtes en carton empilées les unes sur les autres, contre un mur, de telle façon que la moitié des murs de la maison est recouverte de ces boîtes, sans arrêt là pour rappeler à cette vieille femme émouvante aux larmesle passé et le massacre des siens.
La mémoire de l'horreur nazie apparaît dans le quotidien de cette femme, dans sa belle maison au milieu d'un champ de coquelicots, et ne peut pas être niée car ces cartons sont partout le long des murs. Mais le but de Schreiber n'est pas de montrer que la mémoire est gênante ou envahissante. Son but, au contraire, est de montrer que la mémoire de la Shoah n'empêche pas de vivre, que les nazis ne nous empêcheront pas, nous, ukrainiens ou américains, de continuer à savourer ce que la vie peut offrir de drôle et de dépaysant. Ce qu'elle peut avoir d'exhaltant. Et ce au-delà de la culture et des peuples. Pour autant, le message de Liev Schreiber n'est ni lourd ni simpliste. Il n'est même pas simple. Et c'est bien parce que à l'oral cela peut paraître peu subtil qu'il couche ses pensées à l'écran, avec une grâce immense.
La première partie du film est comme un Kusturica à la Arizona Dream, avec le voyage, la recherche de Trachimbrod que personne ne connaît, puisque l'endroit n'existe plus. On assiste au choc des cultures entre Jonathan (Elijah Wood, parfait, tout en retenue) et son chauffeur, Alex (Eugene Hutz, déluré et délirant). Le choc en question est symbolisé par certaines répliques tout bonnement hilarantes, mais qui provoquent une hilarité non pas burlesque mais carrément euphorique. (exemple : lors du passage de Jonathan et de Alex devant un immeuble délabré, Jonathan demande : "Que s'est-il passé ici ?" et Alex de répondre "L'indépendance..."). Tout est Illuminé donne vraiment envie de vivre, et c'est la raison pour laquelle il ne verse pas dans le pathos. Car il ne s'apitoie pas. Tout est Illuminé n'est pas un film larmoyant, loin de là. Et c'est en cela que la première partie humoristique (je ne vais pas tout vous raconter, mais il y a aussi le passage à l'auberge qui est extrêmement cocasse !!) le distingue avec audace de toute la production empreinte de lourdeurs et de pathos qui subsiste aux USA de nos jours, sur l'holocauste. The Reaber par exemple...
Mais tout comme Kusturica sait si bien le faire, Liev Schreiber est très bien capable de passer du rire aux pleurs (car j'ai pleuré en voyant Tout est Illuminé, et la juxtaposition des émotions contraires y est pour beaucoup). Alors que Kusturica utilisait ce procédé par exemple dans la scène du zoo au début de l'inénarrable Underground (qui mériterait un 21/20 si je le chroniquais !), c'est lors de la scène du chantier que le tragique survient dans Tout est Illuminé. Le grand père d'Alex se fait passer pour quelqu'un de bourru et de dur et d'antisémite pour cacher son traumatisme sucité par le massacre de Trachimbrod (SPOILERS car nous découvrirons qu'il y a assisté FIN DES SPOILERS). Du coup, il multiplie les injures antisémites en ukrainien dans la voiture, en s'adressant à son petit-fils. Le fond du problème est en fait l'incompréhension de son entourage pour ce qu'il a vécu. Mais Jonathan n'est pas stupide, et finit par comprendre les propos du grand-père. Lorsqu'il le lui signifie, ce dernier ne dit rien, comme figé par le remord mais surtout par une forme de pudeur visant à ne pas révèler la vraie raison de son comportement, c'est à dire sa présence à Trachimbrod.
La scène suivante, nous le voyons frapper son petit-fils lorsque celui-ci tentait de lui soutirer la raison de son caractère face à Jonathan. En cela, ce personnage du grand-père, qui est sans aucun doute le meilleur personnage du film renvoie assez au Mischka de Stévenin. Parcourant des champs déserts où des engins allemands de guerre n'ont pas encore été enlevés, Liev Schreiber fait revivre dans les yeux du grand-père la nuit de la Shoah. Ce passage en caméra à l'épaule où nous suivons les déambulations du vieil homme au milieu des reliques nazies est comme un retour dans le temps suggéré et prodigieux, qui doit aussi beaucoup aux mouvements de caméra très bien choisis qui justifient et montrent l'isolement irrémédiable du grand-père, et surtout l'incompréhension de ses proches. Lorsqu'il aura pu ouvrir son coeur à Augustine, le vieil homme se suicidra. Il est assez intéressant de savoir que le grand-père se fait passer pour un aveugle, probablement pour nier son monde actuel, et rester avec ses souvenirs de cauchemars. Le conseil du réalisateur est opposé : la Schoah ne nous empêchera pas de rire. De rire entre nous. Mais pas de rire de la Shoah. Une sorte d'anti La Vie est Belle dont la réussite est incontestablement magistrale. Puis nous en arrivons à la découverte de Trachimbrod, et c'est là, après 1h10 de perfection de tout instant, que le film devient maladroit et... conventionnel. La faute à des fondus enchaînés complètement inutiles et clichés qui ternissent horriblement la subtilité de l'heure qui a précédé. Alors évidemment, ce n'est pas cela qui gâche le film, mais disons que c'est en tout cas ces passages complètement idiots (oui, je crois que c'est le mot) qui font que je ne mets pas 20/20 à ce très grand film. Parlons un peu du titre maintenant : Tout est Illuminé. En fait, ce titre est celui d'un best-seller de Jonathan Sfoer dont le film est l'adaptation. L'illumination vient pour Alex, qui découvre que maintenant, alors que tout les opposait (comme le dit Jonathan en lui faisant remarquer que sa chemise est à l'envers : "l'extérieur est à l'intérieur et l'intérieur est à l'extérieur") , Jonathan et Alex seront pour toujours liés non pas uniquement par l'amitié mais par une mémoire commune.
Bref, un chef d'oeuvre.