Je n'avais jusqu'à présent vu aucun film de Catherine Breillat, peu attiré par la mise en scène de ses provocations et par son attitude lors de ses interviews ; je n'ai pas non plus lu le roman de Barbey d'Aurevilly. Pourtant, la vision de certains extraits, et la curiosité de voir ce que le cinéma français a choisi de montrer à Cannes m'ont poussé à aller voir cette "Vieille Maîtresse", premier film en costumes de Catherine Breillat. Des costumes, parlons-en ; ils sont à l'image de l'ensemble du film, un mélange d'académisme pétrifiant et de rares audaces réussies. Acteurs et réalisatrice semblent engoncés dans ces redingotes et ces robes empesées, comme ils le sont dans la langue du XIX° siècle, Catherine Breillat ayant été visiblement très fidèle aux dialogues du roman. Le début du film est épouvantablement lent et verbeux, avec des acteurs incapables de faire vivre leurs textes, à la notable exception de Michael Lonsdale.
La caméra tente bien de mettre un peu de mouvement dans cette lecture digne du Lagarde et Michard avec des travelings neurasthéniques, mais cela reste du théâtre filmé. Et puis, il y a quelques tableaux plus réussis, et même quelques fulgurences, comme la narration elliptique de la mort de la fille de Vellini et Ryno, montré à la mode orientaliste, ou plus encore le mariage de Ryno et Hermangarde, avec des garçons d'honneur habillés comme des fraises tagada ou des pages de "Peau d'Ane", et le prêtre qui lit une épître de Saint-Paul terrifiante de phallocratie.
A l'image de la pige de Lio chantant de Zarah Leander, ou des apparitions subliminales d'Anne Parillaud et d'Amira Casar, le casting est hétéroclite, avec une Claude Sarraute emmitouflée et affalée dont la modernité décalée ne passe pas l'écran, ou une Yolande Moreau en plein contre-emploi dans le rôle de la Comtesse d'Artelles. Quant à Asia Argento, elle joue la folie possessive comme si elle était dans un film de son père, et sa diction n'est pas toujours compréhensible.
Le plus intéressant est peut-être le jeune Fu'ad Ait Aattou, qui a tapé dans l'oeil de Catherine Breillat par sa féminité non effeminée. Alors qu'Asia Argento incarne une brutalité virile, fumant le cigare et se déguisant même en homme pour assister à un duel, lui aussi joue l'inversion des genres avec sa bouche sensuelle, sa démarche gracile et sa suavité. On ressort de ce film avec l'étrange impression d'avoir vu quelque chose de très disparate, tant du point de vue de la narration, du jeu des acteurs et peut-être surtout du rythme, et d'avoir seulement effleuré, et trop rarement, ce que le film aurait pu être, un "Valmont" du début du XIX° siècle.
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