Plusieurs grandes villes et États (notamment Chicago, Los Angeles, Minneapolis, Saint-Louis et l'Ohio) établirent spontanément des bureaux de censures, qui tentèrent d'interdire le film. L'affaire atteignit la Cour Suprême, qui approuva les interdictions, rejetant l'appel de Griffith au premier amendement de la constitution américaine, qui garantit la liberté d'expression, du fait du statut commercial du film. Celui-ci étant un produit commercial aux yeux de la loi, il ne pouvait contourner la censure populaire, qui était une expression de la démocratie. La censure pris par la suite une forme plus officielle et surtout, ne se contenta plus de se concentrer sur la nudité à l'écran. En plus d'être un jalon du cinéma, La Naissance d'une nation laissa un précédent juridique...
Le succès du film est sans doute aussi lié à son sujet. Autant qu'un film sur la guerre de Sécession, La Naissance d'une nation est un film sur la naissance du Ku Klux Klan, dont le fondateur est ici le héros. L'oeuvre montre des esclaves noirs heureux de leur condition, opposés à des afro-américains libres mais corrompus et commettant des atrocités. Ce point de vue souleva des vagues de protestation; la N.A.A.C.P., qui défendait les droits et l'intégration des noirs dans la société, en fut le fer de lance. Cette contestation n'était pas dénuée de fondement dans la mesure où la popularité du film fut telle qu'elle engendra des émeutes et un élan de racisme, matérialisé par un regain de popularité du Ku Klux Klan, non envisagé par Griffith. La Naissance d'une nation est l'exemple d'une thématique discutable rendue fascinante, voire hypnotisante, par son esthétique.
La coutume hollywoodienne de l'époque voulait que les acteurs noirs ne puissent pas jouer de scène avec des actrices blanches. C'est pourquoi de nombreux rôles (y compris la servante des Cameron) sont tenus par des hommes blancs peints en noir.
Ayant rencontré un succès phénoménal avec un film au propos raciste, Griffith connaîtra deux ans plus tard un échec tout aussi retentissant avec l'énorme Intolérance. Ce film entendait défendre la liberté de point de vue du réalisateur à travers quatre tableaux historiques (répression des grèves, la Saint-Barthélemy, la Passion du Christ et Babylone), aucun n'étant en rapport avec le racisme.
La scène ou un soldat de faction devant un hôpital siffle en voyant Lillian Gish remporta un tel succès auprès du public que Griffith chercha, apparemment sans succès, à retrouver le figurant par tous les moyens. Ce fut l'actrice qui le rencontra, par hasard, des années plus tard.
L'actrice Lillian Gish, présentée à Griffith par son amie Mary Pickford , autre actrice mythique du cinéma muet, accéda à la célébrité avec ce film et resta très liée au réalisateur, devant et derrière la caméra. Mais de futurs grands noms tels que John Ford ou Raoul Walsh apparaissent également dans des rôles mineurs.
Les scènes de bataille furent reconstituées à partir de photographies de l'époque, et avec le concours de la prestigieuse école militaire de West Point. En revanche, les scènes de la période de reconstruction (notamment les scènes du corps législatif) s'inspiraient plutôt de dessins politiques, sans doute moins objectifs.
Le prix exorbitant des places n'empêcha pas Naissance d'une nation de devenir un succès. Les pratiques comptables alors imprécises ne permettent pas de mesurer avec exactitude les recettes générées par le film, mais la somme la plus communément admise est 10 millions de dollars, soit environ 200 millions de dollars actuels (146 millions d'euros). Du jamais vu pour l'époque.
Afin de couvrir les frais de production colossaux (le budget passa de 40 000 à 110 000 dollars en cours de route), le prix des entrées dut être adapté en conséquence. Les spectateurs de 1915 durent payer deux dollars leur billet pour l'ouverture à New York, soit 40 dollars (29 euros) actuels. Qui a dit que le prix des places devenait trop cher?
La Naissance d'une nation fut le premier film à bénéficier d'une projection à la Maison Blanche. Le président Woodrow Wilson était un camarade de classe de Thomas Dixon, auteur de la pièce The Clansman, dont fut tiré le film. Une citation - à tendance raciste - tirée d'un ouvrage du chef d'État est d'ailleurs intégrée dans le film. Ce dernier fut d'abord enthousiasmé par l'oeuvre, mais pris ses distances face aux protestations qui suivirent la sortie du film. Il est à noter que Wilson donna l'impulsion pour fonder la Société des nations (ou S.D.N.), ancêtre de l'O.N.U.
Avec cette oeuvre, le cinéma passe de ses balbutiements à un véritable langage cinématographique, tant du point de vue esthétique que de la narration: mouvements de caméra, profondeur de champs, gros plan, flash-back, emploi de très nombreux figurants, montage parallèle, etc. L'apport de D.W. Griffith fut tel que Sergei Mikhailovich Eisenstein , autre référence historique du montage au cinéma, dira de lui: " c'est Dieu le père, il a tout créé, tout inventé. Il n'y a pas un cinéaste au monde qui ne lui doive quelque chose ".
La Naissance d'une nation a posé de nombreux jalons, à commencer par la durée des longs-métrages. C'est en effet le premier film de plus de 100 minutes (2H40 en l'occurrence), à une époque où la plupart des oeuvres ne duraient pas plus d'une demi-heure. Il introduisit également la pratique - aujourd'hui disparue - de l'entracte dans les grosses productions de plus de deux heures. Souvenez-vous, Autant en emporte le vent , Ben-Hur , Le Docteur Jivago , 2001 : l'odyssée de l'espace ...
La musique des films muets dépendait toujours du lieu de projection. Les salles employaient habituellement un pianiste qui improvisait au fur et à mesure de l'action. Mais Griffith, homme de démesure, fit appel à tout l'orchestre philharmonique de Los Angeles pour accompagner le film lors de sa première. Il fredonnait également certains passages aux musiciens.