L'Oeil de l'autre a été présenté en 2004 au Festival de Venise dans la section Giornate degli autori (Journées des auteurs), et en 2005 au Festival de Rotterdam.
"Il y a quelques années, j'ai découvert l'existence de l'Observatoire Photographique du Paysage, dont on pourrait résumer la mission ainsi : chaque année, seize photographes reprennent à l'identique, selon un protocole rigoureux, quarante photos prises entre 1989 et 1992 par seize photographes de renom. Cette idée de veille photographique du paysage m'a intéressé : le paysage se dégrade-t-il, est-il en train de mourir, pour qu'il faille le veiller ? Au même moment, j'ai découvert la maison de mon arrière-grand-père en Russie. Elle a été transformée en musée, les pièces ont été conservées en l'état. J'ai trouvé cette impression d'un temps qui s'est figé saisissante. Le travail sur le temps, le temps qui passe, m'intéresse beaucoup : c'est pour moi le matériau principal du cinéma."
"Je vis en France depuis trente ans et j'ai l'impression d'une véritable dégradation des paysages : les abords des villes ressemblent de plus à plus à une certaine Amérique. Je commence à ressentir de la nostalgie, à avoir ce sentiment que "c'était mieux avant". Mais en même temps, je redoute ce sentiment : suis-je en train de devenir "vieux" ? J'ai donc eu envie de confronter le regard d'un photographe d'un certain âge, qui éprouve cette nostalgie, et d'une jeune femme qui n'en a rien à faire du passé, qui vit dans le présent. Et de raconter comment en confrontant à "l'oeil de l'autre", son propre regard se modifie peu à peu..."
L'Oeil de l'autre est le cinquième long métrage de John Lvoff, cinéaste né au Liban en 1954 avec des origines russes, et qui acquiert la double nationalité franco-américaine. Licencié en philosophie et en histoire de l'art à l'Université de Yale, il s'installe en France au milieu des années 70, et devient assistant de Resnais (Providence), Rappeneau (Tout feu tout flamme) ou encore Polanski (Pirates). En 1989, il signe son premier long métrage, La Salle de bain, adaptation d'un livre de Jean-Philippe Toussaint avec Tom Novembre.
L'Oeil de l'autre retrace le parcours d'une jeune photographe incarnée par Julie Depardieu. Le réalisateur explique ce choix de casting : "J'ai très vite pensé à Julie Depardieu pour le personnage, pour son côté terrien et farouche. C'est un boulot dur, physique, solitaire : il m'a paru plus intéressant de le faire jouer par une femme (...) Il s'avère d'ailleurs que la photographe dont on a utilisé les clichés est une femme, Anne-Marie Filaire (...) C'est (...) cette tension entre force et fragilité, timidité et courage qui m'intimidait. Je voulais qu'à un moment dans le film elle se sente en danger, menacée par le fantôme de Holm. C'est plus émouvant avec une femme."
Julie Depardieu, Dominique Reymond et André Marcon, trois des protagonistes de L'Oeil de l'autre, avaient déjà été réunis en 2000 par Olivier Assayas dans Les Destinées sentimentales.
John Lvoff évoque la dimension mystérieuse et surnaturelle de la quête de la photographe : "Je voulais signifier dans le paysage la présence de ceux qui ont disparu. L'Oeil de l'autre est presque un film de fantômes. Dans une première version du scénario, Alice voyait l'image du photographe disparu apparaître dans la chambre. J'aimais bien cette dimension magique : le drap dont on recouvre la chambre, c'est un peu celui que le magicien met sur le chapeau." Le cinéaste avait pensé aller plus loin dans le fantastique, mais, ajoute-il, "j'ai préféré rester dans la suggeston, l'ambiguité". Evoquant les sons étranges qu'on entend dans l'hôtel, il précise : "je m'en remets à l'imagination du spectateur : qui veut y croire pensera que c'est le fantôme de Holm, qui ne veut pas trouvera une explication rationnelle."
Sur le cliché représentant le photographe disparu, on reconnaît le visage d' Otar Iosseliani, le malicieux cinéaste georgien, auteur entre autres des Favoris de la lune, de La Chasse aux papillons et Adieu, plancher des vaches !.
"John Lvoff explique pourquoi il a choisi comme appareil photographique un modèle aussi ancien et particulier que la chambre : "Pour moi, la chambre est le plus beau des appareils photographiques, précisément parce que c'est le plus simple. C'est juste une boite noire qui recueille de la lumière. J'ai commencé à photographier à la chambre (l'appareil que l'on voit dans le film est le mien) quand j'étais réalisateur de publicités, par réaction. En publicité, comme aujourd'hui au cinéma, tout le monde travaille avec des moniteurs de télévision. J'ai l'impression que le regard est "filtré" par un appareil. Avec la chambre, on cadre sous un drap, mais au moment de prendre la photo, on est face à son modèle."