A l'instar de son travail pour The Quiet Family, Kim Jee-Won ressort du placard le thème des secrets enfouis. Mais finie la bonhomie légère qu'il y manifestait ainsi que dans Foul King ; c'est cette fois avec une ambition nettement plus accaparante que le jeune réalisateur dirige cette adaptation d'un célèbre conte coréen, "Rose et Fleur de Lotus". Un titre symboliquement chargé dont le film respecte la dimension lyrique et spirituelle pour livrer ce qui s'avère, bien plus qu'un film horrifique, une oeuvre jouant sur tous les tableaux avec une inertie indicible qui est celle des chef-d’œuvres. L'angoisse, certes 2 Sœurs s'y livre, et plutôt avec réussite, grâce tant à la minutie des cadres que le soin apporté au carcan psychologique dont je reparlerai plus tard. Loin d'être rompu au cinéma d'horreur asiatique, je n'ai pas ressenti en loupant probablement ses inspirations la carence d'un film trop référentiel et pas assez substantiel. Au contraire, les références que j'ai pu saisir n'ont fait que rajouter une dimension à l'arsenal de ce récit, collectives et pourtant assez implicites pour ne pas le paralyser. Le résultat est étonnement heureux compte tenu de son appartenance à un genre que je n'apprécie pas particulièrement. Il faut dire que l'angoisse du film de Jee-Won n'a rien de gratuit, mais fait partie intégrante de la mise en immersion d'un spectateur qui ressent au plus près la violence des événements et l'aliénation provoquée. Par sa multiplication des signes et des symboles, 2 Sœurs rend la présence qui l'habite ubiquitaire. En parallèle, le récit ne cesse de surenchérir sur lui-même
, comme en écho à la complexité des constructions mentales mises en place par Su-Mi pour se protéger contre ses propres fantômes
, atteignant une densité extrêmement cohérente. C'est comme, si, de ce monde fantasmatique et volontairement déconstruit par des entremêlements chronologiques (qui a dit Lynch ?), ne pouvait s'extirper que la vérité dans toute son horreur. C'est d'ailleurs peut-être pour ça que très habilement, 2 Sœurs ne lève pas le voile sur tout son mystère, et que le doute est toujours permis quant à la réalité absolue de son univers. Parce que quoi qu'on fasse pour les chasser, les fantômes reviennent toujours, et que les supprimer totalement aurait été condamner son personnage à l'enfermement, l'excluant du cercle des spectateurs, le rejetant hors du champ de l'envisageable, comme si les peurs lui étaient réservées et que nous, de l'autre côté de l'écran, n'avions plus à douter. Voilà pourquoi 2 Sœurs me marque autant, parce qu'il me poursuit par-delà ses limites de simple long-métrage. Parce que, comme tous les grands films, il intervient comme une sorte de présence, et a sans doute changé une infime partie de moi à jamais. Pas de doute, Kim Jee-Won a fini de rigoler, et est passé aux choses sérieuses. J'attendrai beaucoup de ses prochains films. En attendant, 2003 aura décidément été une année faste pour le cinéma déchaîné du Pays du Matin Calme. Après Old Boy, 2 Sœurs est à ce jour mon film coréen préféré, et une surprise phénoménale.