Marre des beautés figées du Nord, du cloisonnement sociétal qui enferme les femmes dans un ensemble de tâches, de la ville, en somme, et de sa culture urbaine. En guise de vacances, le Sud et ses plages de sable, ses Tequila Sunrise consommés en compagnie de beaux éphèbes noirs. Ce qu’il y a de magnifique dans Vers le Sud, c’est la tension constante entre la naissance du soleil érotique et le crépuscule de la vie auquel ces femmes sont confrontées : leur beauté, quoiqu’encore prégnante, menace de prendre la fuite, et tout un vertige lié à la disparition et à la solitude qui l’accompagne voit le jour, s’exacerbe à chaque absence de Legba. L’une d’entre elles se compare d’ailleurs à un papillon, insecte qui déploie ses ailes gorgées de lumière et de couleurs pour une durée courte, le temps d’une journée estivale et d’une nuit torride. En s’emparant de la thématique du tourisme sexuel, Laurent Cantet propose une peinture subtile et envoûtante sur le désir féminin qu’il traite de façon évasive, vaste édifice construit sur du sable et qui, à chaque marée, fragilise ses bases. Car derrière les discours pompeux bat un cœur avide d’amour et de sexe, s’active un regard seul capable de capter la beauté de l’homme noir (voir à ce titre la photographie prise par Ellen) perçu à la manière d’un corps nouveau, promesse par conséquent d’un nouveau départ. Pourtant, le film brille également par ses âpretés, et ne divulgue en rien la violence qui imprègne la société haïtienne : il faut aller au-delà des lagunes, au-delà des courbes avantageuses, pour percevoir le désarroi, la misère, la tyrannie que des groupuscules font régner. Sous ses aspects de paradis terrestre, l’espace haïtien se mue peu à peu en territoire déchiré par des luttes : une rivalité entre deux femmes, un combat mené en solitaire par Legba, convaincu qu’il peut s’aménager, au sein de cet îlot de violence, un havre de paix où vivre heureux. Vers le Sud est donc une œuvre marquée par la désillusion, celle de ses femmes, celle de son jeune homme, celle du spectateur qui ne verra jamais les intrigues se rassembler ni les cordes de la passion se nouer : film estival qui donne l’impression de livrer des flots d’images et de sensations au gré des vagues, menaçant de toute part mais s’éclaircissant enfin comme un cap devenu point dans l’horizon, à mesure que les touristes retrouvent leur quotidien et, avec lui, leur insatisfaction fondamentale. Vers le Sud obsède par le désir ainsi mis en scène qui jamais ne se lève mais se consomme lentement, imparfaitement.