Le film fait suite à « Bophana, une tragédie cambodgienne » (1996) qui se terminait sur la rencontre entre un peintre, torturé dans la prison S21 et son bourreau. S21 est le nom du centre de détention et de torture installé par les Khmers rouges dans le lycée Tuol-Sleng à Phnom Penh. 17 000 personnes y ont été exécutées. En 1979, à l’arrivée des Vietnamiens qui chassent les Khmers Rouges, le centre est transformé en musée. Vu le départ rapide de ces derniers, les archives n’ont pas été détruites. Il reste 3 survivants dont 2 que rencontre et filme Rithy Panh et qui acceptent, d’une part, de retourner au centre S21 et d’autre part, de dialoguer avec leurs anciens bourreaux, adolescents à l’époque des faits. Situation unique dans les annales de l’histoire du XXe siècle et qui en fait le caractère exceptionnel du documentaire. Il a réussi à convaincre les bourreaux en leur payant le déplacement et leur expliquant que le réalisateur n’était pas un juge. Ça n’est qu’à la fin du tournage que les langues se sont déliées. Le peintre Nath, revenu sur les lieux de détention qui a duré 2 mois à S21, décide de peindre des scènes de son séjour avec les autres prisonniers attachés et aux yeux bandés. La découverte du centre après 23 ans est très émouvante, tous ses souvenirs douloureux remontant à la surface (il y a perdu sa femme et ses enfants). Deux millions de personnes sont mortes pendant le régime des Khmers Rouges (1975-1979).
Les bourreaux rejouent machinalement les gestes qu’ils effectuaient à l’époque, le tout en longs plans séquences et parfois répétitifs. On assiste aussi à la lecture des archives (comptes rendus d’aveux, causes de mortalité, etc.) ainsi que le retour sur le lieu d’exécution : les prisonniers étaient assommés à coup de barre de fer sur la nuque avant d’être égorgés puis jetés dans une fosse commune…
Les bourreaux offrent peu d’empathie vis-à-vis de leurs victimes, regrettent leurs actes et expliquent qu’ils étaient obligés d’agir ainsi s’ils voulaient rester en vie. Un peu court comme justification mais une excellente illustration de la banalité du mal, développée par Hanna Arendt et de la servitude volontaire développée par Etienne de la Boétie. Seul bémol, le film est un peu long (1h41) et malgré les scènes exceptionnelles d’un point de vue historique, il demeure un peu « froid » en terme cinématographique : la musique et la contrebasse de Marc Marder sont finalement peu présentes et il y a beaucoup plus d’émotions dans le film de fiction « La déchirure » (« The killing fields ») (1984) de Roland Joffé.