Thérèse est une jeune femme qui a été contrainte par sa tante à un mariage arrangé avec son cousin, mariage auquel elle n’a pas osé s’opposer car la dite tante l’a recueillie à la mort de ses parents. On comprend vite que Thérèse n’est pas du tout épanouie dans cette union car le mari est avant tout un fils à maman que celle-ci surprotège et qui a trouvé grand bénéfice à imposer à Thérèse de prendre sa relève. Elle vit d’ailleurs toujours avec le couple et régente la vie de la maisonnée. Thérèse s’occupe dorénavant à sa place du commerce de tissus qu’elle possède et la vieille tante organise des parties de cartes tous les jeudis qui ont pour seul but de les satisfaire elle et son fils et de renforcer leur complicité ! Cette triste vie de la jeune femme pourrait durer encore longtemps si l’amour, le vrai, ne pointait pas le bout de son nez sous les traits d’un bel ouvrier italien devenu par incidence ami du mari de Thérèse…
Dès la première scène, le tour de force de Marcel Carné est de nous montrer combien Thérèse se sent isolée dans ce drôle de trio où le véritable couple est en fait formé par la mère et son fils. Ils sont au bord du Rhône ( l’histoire se déroule à Lyon). Le mari de Thérèse joue à la pétanque soutenue par sa « maman » alors que Thérèse, dos tourné, contemple le fleuve qui s’écoule, en toute liberté, liberté qui a elle lui fait si cruellement défaut ! On pense tout d’abord que Thérèse est la sœur de l’homme, vu comment la veille femme s’adresse à elle en la tançant. On comprendra plus tard seulement le vrai lien de parenté entre les deux jeunes gens et la raison de notre méprise.
Il faut saluer dans ce film la performance du jeu de Simone Signoret (dont ce film signera un des accès à la notoriété), tout en retenue et qui porte sur le visage toute la souffrance et la frustration due à la résignation. Pourtant Thérèse est quelqu’un de caractère qui ne s’en laisse pas compter mais ses valeurs morales et la dette dont elle se sent redevable vis-à-vis de sa vieille tante l’empêchent de briser ses chaînes.
Lorsque l’amour se présente à elle sous les traits de Laurent, elle préfère d’abord y renoncer (elle refuse de s’enfuir avec lui) puis choisit pour y parvenir de tenter de convaincre son mari qu’il vaut mieux mettre un terme à leur union. Ce qui est dramatique, c’est que l’on comprend bien que c’est son entêtement dans l’honnêteté qui va faire indirectement son malheur…
Ce film, que l’on pourrait avoir quelques réticences à regarder vu sa date de réalisation, est passionnant de bout en bout et surtout n’a pas pris une ride. En plus de nous toucher par le destin pathétique de Thérèse et de son amoureux, Carné grâce à une mise en scène très maîtrisée manie aussi parfaitement bien le suspense et la tension dramatique (scène notamment où la tante monte dans la chambre de Thérèse alors que les 2 amants s’y sont réfugiés). Le regard de la vieille tante à la fin du film fait ainsi froid dans le dos et est annonciateur des tourments futurs de Thérèse
Cependant, ce que l’on peut reprocher au réalisateur, et que déjà soulignèrent en négatif les critiques de l’époque, est de s’être bien éloigné de la trame narrative du roman de Zola dont pourtant il affirme s’être inspiré dès le générique d’entrée ! En effet, chez Zola, les personnages de Thérèse et de Laurent sont décrits comme soumis à leurs désirs et leurs pulsions ce qui les conduit au meurtre prémédité du mari puis à la folie destructrice, alors que chez Carné, la morale et la droiture des 2 amants restent assez constantes et c’est d’ailleurs ce qui rend leur histoire et le drame qui la clôt si touchants.
Ne boudons donc pas notre plaisir et avouons que, même si le film de Carné eut peut-être mérité un autre titre que celle d’une héroïne mal retranscrite (Carné cherchait-il par là-même à profiter du succès du roman de Zola ?), il n’en demeure pas moins d’une grande maîtrise dans sa mise en scène, révèle le talent d’actrice de Simone Signoret et a le mérite de dénoncer le carcan marital et la toute puissance d’une société paternaliste que subissaient beaucoup de femmes de l’époque.
« La progression dramatique […] est admirablement conduite, depuis le moment où nous voyons Thérèse lentement asphyxiée par le cadre médiocre dans lequel elle vit, jusqu’aux révélations que lui apporte sa rencontre avec Laurent. Le réseau serré dans lequel les 3 personnages vont se débattre est dessiné d’un trait sans défaillance et on ne saurait relever un temps mort, une longueur dans un film que, je le répète, on ne songe à discuter qu’après coup et quand on a rendu un hommage sans réticence à un admirable technicien. »
G. Charensol « Les nouvelles littéraires » 1953
Lion d’Argent à Venise