En 1959, John Ford tout comme John Wayne est au sommet de sa gloire hollywoodienne. Âgé de 64 ans, il tourne en qualité de réalisateur depuis 1917, comptant déjà plus de 120 films à son actif. Avec John Wayne qu’il a croisé en qualité de figurant à quatre reprises dès le temps du muet, il entame à l’occasion des « Cavaliers » leur dixième pleine entière et collaboration. Malgré l’éclectisme réciproque des deux hommes, leurs noms restent encore aujourd’hui solidement attachés au western. Ensemble, ils en tourneront huit dont au moins cinq chefs d’œuvre unanimement reconnus («Le Massacre de Fort Apache », « La Charge Héroïque », « Rio Grande », « La Prisonnière du Désert », « L’Homme qui tua Liberty Valance »). « Les Cavaliers » souvent considéré comme mineur en raison de sa relative faiblesse esthétique et de son manque de profondeur psychologique occupe une place inconfortable dans la filmographie des deux hommes. Grand spécialiste de la Guerre de Sécession sur laquelle il est incollable, John Ford décide au crépuscule de sa carrière d’enfin traiter le sujet sur toute la longueur d’un film. Pour ce faire, il s’empare de l’histoire authentique du colonel Benjamin Grierson qui durant la campagne de Vicksburg fut chargé de s’enfoncer dans les lignes sudistes sur plus de 1000 kilomètres (de La Grande à Baton Rouge) afin d’y saboter les appuis logistiques (lignes ferroviaires, bases de ravitaillement…) dans le but de favoriser les percées à venir du général Grant. Le sujet lui a été apporté par les scénaristes John Lee Mahin et Martin Rachin qui seront aussi producteurs sur le film. Ce sont en effet six compagnies de production qui investissent dans l’entreprise. Ce qui ne manquera pas de compliquer le bon déroulement du tournage. Tout d’abord Wayne et William Holden obtiennent chacun 750.000 dollars de cachet plus 20% des bénéfices alors que Ford devra se contenter de 180.000 dollars et 10% des bénéfices. Les acteurs ont désormais pris le dessus dans le système hollywoodien ce que Ford qui a grandement contribué à la construction du statut de star de John Wayne, supporte assez mal. Un Wayne qui de son côté est déjà très impliqué dans la préparation d’« Alamo », le film fleuve qu’il compte mettre en scène lui-même. Pour achever d’entamer la motivation du réalisateur, celui-ci assiste impuissant à la mort du cascadeur vieillissant Fred Kennedy lors de l’une des dernières scènes tournées en extérieurs. C’en est fini pour John Ford qui se désintéresse progressivement du film. Ces avatars parvenus aux oreilles des critiques, il n’en faut pas plus pour que « les Cavaliers » soit assez promptement rangé dans la catégorie des films mineurs de la foisonnante filmographie de John Ford. S’il est clair que le contexte historique dans lequel se déroule l’action ne favorise pas la magnificence visuelle des westerns de Ford ayant pour cadre Monument Valley, son intrigue s’inscrit parfaitement dans la geste fordienne qui s’intéresse aux tourments de l’homme confronté à l’histoire et glorifie les valeurs du collectif au nom duquel se transcendent les individus. Le Colonel Marlowe, officier sorti du rang, interprété par John Wayne devra faire face à plusieurs dilemmes qui se surajoutent tout au long du film. Sa mission tout d’abord qui consiste à détruire des voies ferrées alors qu’il est lui-même dans le civil, chargé de les construire. Ensuite, son acceptation progressive de la présence du capitaine Nathan C. Brittles (William Holden), médecin militaire qui l’oblige à concilier autant que faire se peut sa mission suicidaire avec la préservation de ses hommes. L’amour enfin qui le surprend en la personne d’une prisonnière sudiste (Constance Towers) qui ne pense qu’à donner des renseignements à ceux de son camp. Avec le manichéisme naïf qui le caractérise et grâce à un John Wayne qui ne fait que se bonifier avec les ans, John Ford parvient à émouvoir en dépit de l’absence de personnages secondaires marquants comme dans ses tout meilleurs films. Un John Ford dont on peut affirmer qu’il filme comme il respire au contraire de cinéastes plus cérébraux tels Frank Capra, Joseph Mankiewicz ou George Cukor. La vie coulant dans les veines de ses films, le spectateur ne sera jamais complétement déçu par un film de Ford, leur vérité et leur fraîcheur finissant par l’emporter sur toutes les imperfections d’un réalisateur qui aura passé sa vie sur les plateaux de tournage. Pour l’aspect esthétique et épique du film sans doute trop sévèrement critiqué, le spectateur ne pourra oublier la charge suicidaire, sabre au clair des cadets de l’Académie militaire de Jefferson avec à leur tête un vieil officier campé par Basil Ruysdael. Une charge que le colonel Marlowe esquivera impressionné par l’héroïsme des confédérés ayant si vaillamment résisté malgré une infériorité numérique flagrante. L’humanisme encore et toujours chez le grand John Ford.