Orson Welles est un génie du cinéma, non pas selon le sens laudatif mais dans l’idée qu’il aspire, à travers son Œuvre cinématographique, à réinitialiser les codes du genre. «The Lady from Shanghai» (USA, 1947), comme le présage l’exotisme du titre, s’apparente à un film d’aventure. Un quidam, Michael (interprété avec prestance par Welles), sauve Eva, une femme somptueuse (Rita Hayworth), d’une bande de malfrats. De ce geste hardi s’ensuit une vertigineuse aventure. Invité par le mari de cette femme, Michael ne sait s’il peut, en toute impunité, la désirer. Le double régime des images, qui confond sfumato classique (les gros-plans du visage d’Hayworth) et art baroque (les scènes hallucinantes dans la salle aux miroirs), du à un conflit d’intérêts entre Harry Cohn, producteur et protecteur de l’actrice qui voulait un film plus consensuel, et Welles, qui aspirait au bouleversement des coutumes cinématographiques, permet à l’œuvre d’être hybride et d’exalter une force étrange. De la carnation de l’actrice à la monstruosité de certains personnages, le film balance entre deux esthétiques, deux cultures du Beau. En cela, Welles est un génie, exauçant l’union de deux corps étrangers, de deux visions distinctes du monde. Le pouvoir que Cohn a exercé sur le film, et que regrette amèrement Welles, est en cause dans ce génie. Il faut croire que sans l’intervention des corps nimbés, le film ne serait pas si trouble, ne vacillerait pas avec un tel vertige entre le pompier et l’étrange. La force de Welles est de réussir à élever cette hybridité au rang du spirituel, en rendant absurde la quête de Vérité. Car les effets de perdition, figurés par les miroirs et les complots, relativisent la Vérité et la dispersent pour mieux en évincer la conviction. Chacun des personnages a sa propre version de la Vérité, de même que chacune des forces en fonction dans la conception du film (Welles, Hayworth, Cohn) porte une vision partiale sur l’œuvre.