Les premières minutes qui présentent l'enfance du protagoniste sont très bien imaginées et laissent clairement penser à quelque chose de très bon pour la suite d'où la grande déconfiture que procure ce film. Le réalisateur avait pour ambition de faire un portrait très prismique d'un yakuza ultra-violent, névrosé et farouchement indépendant mais au lieu de ça, au lieu de la profondeur psychologique attendue, on a juste une succession de scènes n'ayant pas vraiment de lien entre elles et qui n'ont absolument rien de marquant. L'ennui se fait présent, et ce n'est pas le manque de charisme et celui de talent de l'acteur principal (on est très loin d'un Toshiro Mifune ou d'un Tatsuya Nakadai !!!) qui améliorent les choses.
Approchant de la fin de sa "pèriode Yakuza", Kinji Fukasaku nous livre "Le Cimetière de la Morale" dont l'histoire, l'intrigue et le personnage principal rappelle fortement unde ses précédents films: "Okita le Pourfendeur". Toutefois, ce film de 1975 semble plus accompli et maitrisé. On retrouve bien l'univers et la patte du cinéaste nippon qui fait de "Le Cimetière de la Morale" une oeuvre sombre, violente et plutôt pessimiste.
Le film part sur de bonnes bases et on attend beaucoup du personnage, mais l'évolution ou plutôt la non évolution du personnage agace pour au final un banal portrait psychologique d'un grand dingue asocial sans aucune intrigue à se mettre sous la dent. Vraiment une réalisation intéressante dans le genre du polar qui n'a pourtant rien à envier des grands de l'époque, mais ça n'arrive pas à la cheville des films noirs de Kurosawa pour rester dans le Japon.
C'est en se faisant parasiter par le documentaire que "Le Cimetière de la Morale" parvient à émouvoir dès ses premières secondes. Elles inscrivent l'œuvre dans une réflexion intime et politique à hauteur d'homme.
Ainsi, le film de yakuza à la violence chaotique est apaisé par un retour constant au réel, par le biais de documents d'archive, de filtres, de textes à l'écran, mais aussi d'arrêts sur image faisant basculer la fiction dans la réalité du fait divers. Le destin tragique d'Ishiwaka est témoin des troubles qui habitent le Japon d'après guerre, symbole d'une destruction économique qui résulte en une perte de repères sociaux, perdu entre un attachement aux traditions et une percée agressive du capitalisme.
Fukasaku voit Ishiwaka comme la personnification de ce pays qui mute au rythme de la violence et de la drogue. Il délaisse la figure historique pour mieux se concentrer sur l'intime, la trajectoire humaine (des moqueries de l'enfance, en passant par l'obsession maladive de monter dans la hiérarchie, jusqu'au drame sentimental) qui anime son protagoniste.
La mise en scène du cinéaste s'évertue à rendre compte du regard de son personnage principal : le tumulte - formel et narratif - de la violence, l'euphorie de la fête, le statisme de la résignation. On peut reprocher à Fukasaku d'abuser des plans débullés, ou encore d'être trop littérale dans sa représentation du fatalisme (l'image du ballon), mais cette violence exacerbée n'est jamais complaisante, elle fait simplement corps avec son sujet. C'est cette volonté que de voir Ishiwaka et la caméra se confondre dans un même mouvement, au point de ne faire qu'un, qui donne toute sa force et son émotion au récit.
Si "Le Cimetière de la Morale" est aussi dense, c'est grâce à sa capacité à se jouer des codes du film biographique au sein d'un mouvement de cinéma fascinant. Fukasaku croit profondément en son personnage car il a l'intelligence de le traiter comme un marqueur humain, bien plus que comme une figure historique. Brillant dans sa réappropriation de l'image documentaire, le cinéaste perçoit le poids du réel dans la fiction, sans jamais que l'un ne se soustrait à l'autre.
Cette plongée dans l'univers d'un yakuza ultra violent et completement inconscient donne un film completement imprévisible et ne se pliant a aucune logiquen de studio. une rareté sympathique donc...
Le cimetière de la morale ne fait vraiment pas de concessions et est porté par un formidable interprète. TRES noir.