Il faut avoir le cœur bien accroché pour supporter tout ce qui nous sera montré durant les 105min que ce compte ce film. Frederick Wiseman (City Hall - 2020) comme à son habitude, nous entraîne au cœur d’un univers rarement ouvert au grand public, il s’immisce au plus près et laisse trainer sa caméra un peu partout, sans jamais prendre la parole, à l’intérieur de ce centre de recherches sur les singes (gorilles chimpanzés, orangs-outans ou encore Mangabey couronnés).
Primate (1974) est une plongée dans l’horreur et la souffrance, celle de centaine de milliers de singes qui sont pensionnaires au Centre national de recherche sur les primates Yerkes, à Atlanta en Géorgie aux États-Unis où les expériences portent sur l’étude des capacités cognitives, leurs comportements et leur sexualité. Le réalisateur nous donne à voir ce qu’il s’y passe, dans un univers d’ordinaire interdit au grand public. Ici, les scientifiques ne se limitent pas seulement à étudier et à observer les singes, ils y pratiquent aussi et surtout tout sortes d’expériences. Des recherches sur l’insémination artificielle ou encore sur l’érection (pendant près de 45min, on va les voir s’afférer sur les singes, essayant diverses manipulations pour déclencher chez les sujets des érections, via des électrostimulations afin de déclencher chez le primate une électro-érection ou de déclencher chez lui l’envie de s’accoupler (soit par un stimuli au niveau de la prostate soit via un électrode branché au cerveau, pour la 2ème solution, le singe n’est pas endormi et se retrouve avec un branchement dans le cerveau au beau milieu du crane).
Frederick Wiseman ne nous épargne rien et ne nous ménage pas. Si vous êtes sensible à la cause animal (ce qui est mon cas), il vous sera difficile de regarder ce film dans son entièreté, sans devoir vous cacher les yeux. Non seulement le réalisateur filme toutes les expériences caméra au poing (la peur et l’incompréhension des primates se lisent sur leurs visages), mais il filme aussi en frontale la dissection d‘un singe jusqu’à l’ablation de son cerveau (le chirurgien, à l’aide d’une pince, détache la tête du corps, la scalpe et ouvre la boite crânienne pour en sortir son cerveau, le plonger dans du formol pour ensuite, le disséquer et en couper de fines lamelles transversales pour l’étudier au microscope).
Le dernier quart d’heure sera quant à lui consacré à l’étude des primates dans l’espaces. Les scientifiques font subir toute une batterie de tests, comme celui de la centrifugeuse, puis le film se terminera sur une séquence filmée lors d’un vol parabolique à l’intérieur d’un "avion zéro G" (qui permet de recréer une situation d’apesanteur), afin de voir comment réagirait le singe s’il était envoyé dans l’espace.
Quand ils ne subissent pas tout un tas d’expériences pour le moins désagréables, les singes sont reclus dans de minuscules cages. Ils n’évoluent pas en liberté, ne peuvent pas s’accrocher aux branches des arbres (tout ce qu’est censé faire un primate). Ici les singes sont réduits à un statut de pantin d’expérimentation et Frederick Wiseman ne s’en privera pas pour nous le montrer. Ce qui est intéressant de souligner ici c’est la facilité avec laquelle le réalisateur a pu filmer tous les recoins de ce centre de recherches. Ce serait clairement impossible de nos jours, tant les expérimentations animales sont mal vues et décriées par la population.
Si ce film ne nous apprend rien sur les exactions et autres expérimentations animales, il a au moins le mérite de nous les montrer sans fausses pudeurs (de nos jours, les rares images liées à ce genre de recherches sont toujours filmées sous le manteau, on ne sait jamais s’il s’agit d’une manipulation ou de véritables images). C’est en cela que le documentaire s’avère intéressant, le fait que Wiseman ait pu avoir (semble-t-il) carte blanche pour tout filmer (quid de ce qui lui a été interdit de filmer ? On n’ose l’imaginer).
Un documentaire nécessaire pour rappeler à quel point la recherche scientifique sur les animaux doit être abolit (le centre Yerkes fondé en 1930 continu toujours et encore sa maltraitance animale et ce, malgré de nombreuses polémiques). Bien que le film ait été tourné en noir & blanc, cela n’enlève en rien la puissance des images, le film n’en reste pas moins choquant voir écoeurant par moment (entre les vis crâniennes, l’extraction cérébrale ou ne serait-ce que de voir les singes entravés par des contentions), la puissance des images se passe de tout commentaire.
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