Les années cinquante sont la période féconde de Vincente Minnelli. Il y a réalisera ses plus célèbres comédies musicales ("Un américain à Paris", "Tous en scène", "Gigi") et ses meilleurs mélodrames ("Les ensorcelés", "La vie passionnée de Vincent Van Gogh", "Comme un torrent"). Il est donc à ce moment précis où les choses commencent à être remises en cause au sein des studios, considéré comme le réalisateur porte bonheur de la MGM. Le dernier roman de James Jones, auteur de "Tant qu'il y aura des hommes" adapté au cinéma par Fred Zinneman, qui avait raflé huit oscars en 1954 a été immédiatement acheté par la MGM pour riposter à ce formidable succès de la Columbia qui avait marqué le retour en grâce de Frank Sinatra avec un Oscar du second rôle à la clef. C'est donc naturellement à Minnelli que le producteur Sol C. Siegel pense pour le porter à l'écran. Le roman de plus de 1200 pages est retravaillé par John Patrick et Arthur Sheekman pour fluidifier le récit et bien mettre en avant les tourments qui minent Dave Hirsch (Frank Sinatra), écrivain rentrant dans sa petite ville natale après s'être illustré comme soldat pendant le dernier conflit mondial et qui ne sait plus très bien où se trouve son avenir. S'insérer définitivement dans un statut de bourgeois à l'image de son frère aîné banquier (Arthur Kennedy) installé ou continuer la vie en marge qui est la sienne depuis qu'il est adulte sera le dilemme autour duquel s'articulera tout le film. Le scénario oppose sans doute de manière un peu manichéenne deux faces de la société qui cohabitent au sein de la petite ville de Parkman (qui est en réalité Madison en Illinois qui avait été désignée en 1941 par le Bureau de l'Information de la Guerre comme la commune la plus typique des Etats-Unis et avait à ce sujet fait l’objet d’un documentaire de Joseph Von Sternberg en 1944, "The Town"), mais le personnage ambivalent de Dave Hirsch équilibre le propos en montrant qu'en chacun de nous cohabitent des extrêmes qui entrent parfois en conflit irréconciliable. L'alcool que consomme Dave en grande quantité semble bien être le substitut à ce conflit également distribué dans le scénario entre deux couples de personnages masculins et féminins. D'un côté,
Frank (Arthur Kennedy) le grand frère marié à une riche héritière, modèle de conformisme moral et bourgeois dont les certitudes vont s'étioler et Gwen French (Martha Hyer) jeune professeure de littérature, admiratrice de l'écrivain et prisonnière de ses principes qui l'empêchent de se livrer sans retenue à l'amour que lui présente Dave avec ses manières un peu triviales. De l'autre Bama Dillert (Dean Martin) joueur invétéré, noceur notoire, alcoolique et machiste en diable qui symbolise la vie sans horizon préconçu ou limites à sa recherche de plaisir et Ginnie Moorehead (Shirley Mac Laine) prostituée au grand cœur, naïve et inculte, amoureuse éperdue de Dave qu'elle voit comme le prince charmant capable de la sortir de sa condition
. Dave navigue entre ces deux pôles bien définis aux allures quelquefois caricaturales comme souvent chez un Minnelli à la recherche jamais réellement contrôlée d'un lyrisme échevelé. La valse hésitation de Dave,
notamment vis-à-vis de Gwen, présage dès le départ comme le laisse entendre la très belle partition musicale d'Elmer Bernstein, d'une fin tragique qui sera bien au rendez-vous mais différente de celle du roman
. Frank Sinatra magnanime avait en effet souhaité mettre en avant la toute jeune Shirley Mac Laine qui avait rejoint le fameux Rat Pack dont il venait de prendre le leadership à la suite d'Humphrey Bogart tout récemment décédé (le 14 janvier 1957). En dépit de ses quelques défauts de réalisme qui datent forcément le film, "Comme un torrent" distille de très belles scènes où Minnelli montre sa sensibilité et son sens du rythme notamment lors d'un finale très attendu qui ne déçoit pas, repris en grande partie et étiré par Brian De Palma en conclusion de "Blow out" (1981). Frank Sinatra et Dean Martin complices dans la vie sont bien sûr très à l'aise dans leurs rôles respectifs qui sont tout sauf de composition, notamment celui de Bama, le plus cohérent du film, assumant toutes les conséquences de son choix de vie notamment face à la maladie. Mais c'est bien, Shirley Mac Laine encore débutante, remarquée trois ans avant chez Hitchcock dans ""Mais qui a tué Harry ?" qui malgré un rôle assez succinct crève l'écran en quelques scènes par le mélange délicat de détresse et de naïveté mutine qu'elle imprime à son personnage. Excellent tour de chauffe pour son rôle phare deux ans plus tard dans "la garçonnière" de Billy Wilder. Une très belle réussite donc à porter au crédit de Vincente Minnelli qui a su malgré son penchant à l'emphase exprimer les fêlures intimes de chacun de ses personnages.