C’est dans l’ouverture du cinéma de sa bourgade sicilienne natale, quelques années après la fin de la guerre, et dans sa rencontre avec Alfredo le projectionniste, que toute la vie de Salvatore Di Vita, devenu un grand réalisateur italien, trouve son origine et sa justification. Signe que ‘Cinema Paradiso’ est l’oeuvre d’un passionné qui veut faire oeuvre de pédagogie, on apprends pas mal de petites choses tout au long des deux heures trente de ce qui est à la fois une saga villageoise, un mélodrame poignant et une étude sur l’histoire du cinéma en Italie, qui approche le métier et les conditions de diffusion et de distribution des films à cette époque héroïque : la chaleur qui se dégageait des projecteurs, les bordereaux de prêt des bobines punaisés au mur, l’inflammabilité extrême de ces dernières, qui faisait du métier de projectionniste une profession à haut-risque,...mais on découvre surtout ce que représentait à cette époque le cinéma, loisir populaire par excellence capable de rassembler tout un village. Le spectacle se déroulait autant sur l’écran que dans la salle : on y chahutait, on y pleurait, on s’y indignait ensemble, on y répétait religieusement avec quelques secondes d’avance des dialogues connus sur le bout des doigts, les jeunes adultes y faisaient des rencontres et y flirtaient discrètement, tandis que les ados découvraient les choses de la vie avec Sophia Loren ou Brigitte Bardot. A l’ère du numérique et de la saturation des contenus, ponctué comme il l’est d’extraits de classiques italiens et internationaux, comédies slapstick, mélodrames muets et péplums Cinecitta, ‘Cinema Paradiso’ est une pure déclaration d’amour au 7ème Art, celui dont certaines images vous poursuivent une vie durant et parviennent à ce que vous puissiez, à des années d’écart, vous rappeler l’endroit, les personnes avec qui vous étiez et même ce que vous avez mangé le jour où vous avez découvert l’une des scènes immortelles en question. De manière plus littérale, l’ultime scène de ‘Cinéma Paradiso’, particulièrement émouvante, affirme haut et fort que sa plus grande force, son plus puissant marqueur d’immortalité, est justement sa capacité à survivre à ceux qui le rêvent, à ceux qui le façonnent et à ceux qui l’aiment. Si le cinéma, dans toutes ses dimensions, enserre le film de part en part, ce biais n’est pas exclusif puisque ‘Cinema Paradiso’ survole une enfance, puis une jeunesse italienne revisitées par le prisme d’un village méditerranéen typique, dont ses habitants les plus archétypaux font un personnage à part entière du récit : le curé qui veille à la moralité de ses ouailles en caviardant les scènes répréhensibles sur chaque pellicule, l’idiot du village qui erre sur la place en beuglant, le gagnant à la loterie qui s’improvise gérant de salle, Alfredo, le projectionniste bourru, qui incarne une figure paternelle pour le petit Salvatore, dont le père a disparu sur le front de l’est et, bien sûr, parce qu’on est tout de même dans un mélodrame (ou en tout cas dans quelque chose de très sentimental), il y a la femme, forcément inaccessible, parce qu’il est pauvre et qu’elle est riche, parce qu’on est en Italie dans les années 50 et parce que le destin s’en mêle, tout simplement. Ainsi ‘Cinema Paradiso’ parle de l’enfance, il parle de l’amour, il parle du cinéma et même du cas particulier du cinéma italien puisqu’à l’époque de la sortie de ‘Cinema Paradiso’, ce dernier, autrefois principal moteur de cinéma populaire européen, était à l’agonie, laminé par la concurrence de la télévision, un constat et un cri d’alarme implicite sur lequel Tornatore ne pouvait pas faire l’impasse. En fait, en contrepoint de l’immortalité présumée du 7ème art, le film parle de la Vie, de la manière dont elle s’accélère au moment même où on souhaiterait qu’elle ralentisse, alors qu’elle prenait tout son temps quand on brûlait de l’impatience des jeunes années. Lorsque Salvatore revient, à l’âge mûr, pour assister à l’enterrement d’Alfredo, dans ce village qu’il a fui 30 ans plus tôt, le film se mue en méditation sur le temps qui passe, le poids des souvenirs, les rêves qui se sont fanés, les choix existentiels dont, a posteriori, on n’est plus vraiment certain qu’ils étaient les bons, et ce retour aux sources se teinte d’une puissante mélancolie nostalgique. Peut-être que ces thèmes touchent une corde sensible chez moi mais alors que je n’avais absolument jamais entendu parler de ce film, pas plus que je ne l’avais classé dans ma catégorie mentale des choses que je devais voir absolument, ‘Cinema Paradiso’ fait partie de ces oeuvres dont on sait, instinctivement, qu’elles sont de véritables classiques du cinéma mondial.