Connaitriez-vous ce metteur en scène sicilien, sans ce chef-d’œuvre réalisé en début de sa carrière pour rendre hommage au septième art ? Il fait partie de ces réalisations tournées dans un état de grâce tel que tout vous réussit. Le résultat en est un cocktail délicieux de rire, de nostalgie, de drame et d’authenticité, dans un dosage équilibré et parfait.
Tornatore a tourné dans son village d’origine, sans forcer le trait ni son talent, il a su en retranscrire tous les côtés attachants mais aussi le cruel manque d’horizon et d’avenir si l’on ne sait pas en sortir pour aller découvrir le monde. A l’époque de l’après-guerre, le cinéma a été cette petite fenêtre pour regarder plus loin que le village d’à côté, avant que la télévision ne prenne le relais de cette fonction.
Les acteurs sont également les grands artisans de cette réussite, particulièrement les protagonistes d’un face-à-face improbable. Qui peut résister au duo de choc, entre un gamin acteur débutant aux mimiques irrésistibles et un vieux briscard comme Philipe Noiret, ébloui de pouvoir éduquer à la magie du cinéma le jeune Toto. Ce dernier a perdu son père à la guerre, Alberto n’a pas eu d’enfant. La mayonnaise ne va pas être longue à prendre, malgré l’opposition molle de la mère et du curé, propriétaire de la salle de projection paroissiale. Alberto, devenu son tuteur de fait, remplace l’éducation qu’il n’a pas eue par du bon sens, alimenté en citations extraites des films projetés toute les semaines sur son écran. Il avertit Toto cependant que « le cinéma, c’est du rêve, pas la vraie vie, ne suit pas mon chemin de petit projectionniste sans avenir… »
Le départ du village est brutal, mais les racines sont là, pour toujours. Salvatore (Toto adulte), joué par Jacques Perrin, le projectionniste précoce devenu célèbre a cru pouvoir les oublier, jusqu’au jour de son retour chez sa mère, laquelle a conservé religieusement les objets de son enfance dans une chambre musée. Pleine de sagesse, elle lui dira sa vérité sur le grand amour perdu de sa jeunesse. Un beau portrait d’une mère italienne authentique, bien que pas possessive pour un poil !
Le spectacle est bien sûr autant dans la salle qu’à l’écran, les scènes les plus chaudes ayant été coupées sous la houlette de la censure du curé local ! Il faut avoir vu un film en Afrique ou en Asie pour savoir que ce type de représentation publique existe encore de par le monde, et n’est pas seulement une reconstitution passéiste du cinéma d’antan en Italie.
Cinéma Paradiso est intemporel, les temps changent, mais sa magie opère toujours. Le cinéma renait de ses cendres même avoir été moribond. Il accompagne la jeunesse de ses fanatiques, abrite leurs premiers émois, leurs premières amours, leur apprentissage de la vie sociale aussi. En le regardant, je revoyais ainsi une place de Syracuse –normal c’est en Sicile- tout autant que celle de Beni-Isguen en Algérie, bref des lieux d’exception, inscrits dans le fonds de ma mémoire. Laissez-vous porter par l’ambiance que vous distille le Paradiso pour faire remonter la trace des meilleures séquences que vous ayez vues ou vécues.
Enfin cerise sur le gâteau, Ennio Morricone nous propose une lancinante mélodie dont il a le secret, qui vous reste accrochée en tête pour la soirée. Jacques Perrin, dans un rôle bref mais essentiel, peut se mettre les mains derrière la tête et ne pas en revenir : la magie du cinéma fonctionne là, sous nos yeux.
Août 2015
PS: Revu pour la cinquième fois en décembre 2022, je n'enlève pas une ligne au commentaire précédent alors que je fais découvrir à un préado de 12 ans cet incontournable monument du grand écran, et le dernières stats de cette année nous confirment que le cinéma en salle peine à retrouver sa fréquentation d'avant covid. On continue, comme disait Bertarnd Tavernier....