La renommée de la « La règle du jeu est telle de nos jours qu’il paraît inconcevable qu’à sa sortie, en 1939, le film fut un échec commercial et critique. La version projetée à l’époque était amputée d’un quart d’heure. Ce qui rendait cette oeuvre complexe et déroutante, par sa vitesse et sa densité, quelque peu hermétique. De plus, certains partis pris, comme de confier le rôle d’un aristocrate à Marcel Dallio, le plus célèbre acteur juif de l’avant guerre, déclencha l’hostilité des antisémites, comme la mort de l’aristocratie énerva au plus haut point la grande bourgeoisie et son cortège droitier traditionnel. Inspiré à la fois de Musset et Beaumarchais, tout en intégrant le burlesque anglo-saxon de Chaplin, WC Fields et Keaton, ce rubik’s cube cinématographique expose une telle richesse qu’il est difficilement perceptible en une seule vision. Film sur la fin de l’aristocratie, commencée dans “La grande illusion�, poussée au paroxysme, avec la description d’une société décadente qui nous rappelle que l’oisiveté est la mère de tous les vices. Pendant toute la première partie elle ne pense qu’à s’amuser au moment où le monde s’effondre. Avec, entre autres, la civilisation précolombienne ramenée à Buffalo Bill, la comparaison avec la Comtesse dans un fauteuil à roulettes et la leçon sur la salade de pommes de terre, séquences hilarantes qui sont devenues culte. Mais, la partie de chasse et le symbolique (et prémonitoire) massacre des lapins, siffle la fin de la récréation. Le film devient alors un révélateur acide dont les deux sommets sont le petit théâtre avec la mort qui se mélange au spectateur et le meurtre transformé en accident, faisant douter de quelle règle du jeu il s’agit. Est-celle que défend le psycho rigide garde chasse ou celle du Marquis, servant à éviter le scandale. Après tout ce héros immolé n’est pas de leur monde. Une seconde vision du film fait découvrir à quel point Octave est à la fois le centre et le catalyseur. Interprété par Renoir lui même, l’exubérance du personnage cache en fait la profonde tristesse d’un raté, qui l’exprime par sa conséquence, son amour impossible en a fait un parasite, dans cette immense scène de la direction d’un orchestre imaginaire sur le perron du château. Ce sont tous les doutes qui habitent Jean Renoir, car son illustre père est mort avant qu’il réalise son premier film. Cette lecture à plusieurs niveau, est illustrée par une mise en scène d’une fluidité impressionnante, et surtout, si l’on excepte la première scène (l’arrivée de l’avion), la réalisation brillante et rythmée, est encore terriblement moderne, comme le jeu des acteurs, tous excellents. Classé quatrième plus grand film de l’histoire du cinéma par Sight & Sound 2012 (qui tient compte de toutes les années où le film fut classé, dont trois fois la 2ème place!), c’est dire si c’est un chef d’oeuvre et incontestablement le sommet, inégalé de la production française.