Un classique, et un film d’une étonnante modernité. Faire un film léger est difficile. Le transformer en démonstration de virtuosité est risqué, car le danger est permanent de tomber dans l’esbroufe gratuite. Mais Jean Renoir se sort de tous les pièges et mène tambour battant un vaudeville à l’énergie folle, à peine plombé par un final un peu longuet. Les idées brillantes de mise en scène s’accumulent sur un rythme échevelé, l’esprit et la fantaisie sont au pouvoir, avec juste parfois, une pointe cruelle ou grinçante pour rappeler que derrière la façade légère, le drame n’est jamais loin. Tout ceci a été fait à quelques semaines des premiers coups de canon de la Deuxième Guerre Mondiale… Et quel plateau ! Marcel Dalio et Nora Gregor, d’une élégance folle, posent sur toutes ces péripéties un regard détaché teinté d’une ironie douce-amère. Comment croire que ces deux-là vivaient dans la hantise de l’exil et que, quelques mois après la sortie du film, ils devront fuir et tirer un trait définitif sur leur carrière française ? Roland Toutain, acteur trop oublié aujourd’hui, dans un personnage de casse-cou amoureux transi qui lui va comme un gant (il était aussi, comme son personnage dans le film, un aviateur renommé et un cascadeur impénitent). Jean Renoir lui-même, truculent et extrêmement touchant dans son affection silencieuse pour Christine, traîne sa lourde carcasse et s’affirme comme un grand acteur en plus d’un metteur en scène de génie. Et la ribambelle de personnages secondaires: Schumacher le garde-chasse et sa femme Lisette (adorable Paulette Dubost, à la voix inimitable), Geneviève la fausse femme fatale, le général… Avant que l’Europe ne sombre dans la barbarie, le cinéma français donnait avec "La règle du jeu" un dernier feu d’artifice, l’image d’une société qui brûle ses derniers feux en se disant que, tant qu’à disparaître, autant le faire avec classe – et qui, ce faisant, donne aux générations futures une leçon d’art et de vie. Jean Renoir eut toutes les peines du monde, par la suite, à remonter son film, et quelques scènes ont disparu à jamais. Mais ce qui reste… eh bien, cela reste !