Premier long métrage de Yang Chao, Passages a été présenté en Sélection officielle au Festival de Cannes, dans le cadre de la section Un Certain Regard. Le Jury de la Caméra d'or (qui récompense les premiers films) lui a décerné une mention spéciale. Trois ans plus tôt, cet ancien élève de l'Académie du Film de Pékin était venu sur la Croisette avec son film de fin d'études, Run Away, qui reçut le troisième prix de la Cinéfondation.
En décrivant les aspirations d'un jeune homme et de sa petite amie, Passages fait le portrait de la Chine contemporaine. Yang Chao précise ses intentions : "Il est presque impossible de décrire dans le détail tous les bouleversements auxquels est soumis ce vieil et immense pays. Je ne voulais pas analyser ces phénomènes sociaux, mais m'intéresser, en tant que cinéaste, à la crise d'identité culturelle et aux psychoses qu'ils provoquent dans la nature humaine. D'une certaine manière, j'ai de la chance d'être réalisateur aujourd'hui en Chine, car ce pays regorge de matières pour un cinéaste." Il fait par ailleurs remarquer : "Beaucoup d'injustices, de conflits d'intérêts générés par l'économie de marché, le poids oppressant du système éducatif, apparaissent dans le film." A cet égard, le réalisateur estime que la jeune fille, Xiao Ping, est "une vraie rebelle", contrairement à Si Xu (le garçon) : "Après avoir lutté contre le système par un réflexe hormonal adolescent, il abdique au prix de son existence future. Cette tragédie est celle d'une multitude de jeunes en Chine."
Une des personnes qui ont permis au cinéaste de réaliser son film est Tian Zhuangzhuang. Celui-ci était en 2002 directeur artistique de Century Hero, la société qui a produit Passages, mais les cinéphiles le connaissent surtout comme réalisateur. C'est lui qui a notamment signé Le Cerf-volant bleu, ou la situation politique chinoise vue à travers le regard d'un enfant, une oeuvre très remarquée en 1993.
Si les personnages font un long trajet, l'équipe du film a également beaucoup voyagé : "Tous les décors se trouvent dans les provinces de Henan, Hubei et Shanxi", note le réalisateur. "Nous avons tourné dans plus de 120 endroits et l'équipe a parcouru plus de 10 000 kilomètres en deux mois. Il a fallu retourner sur les lieux à six reprises pour finaliser les repérages. Les trois premiers voyages ont eu lieu au moment de l'écriture, mais à ce moment-là, je n'avais pas assez d'argent pour poursuivre. Après avoir trouvé le financement, je suis reparti une quatrième fois pendant un mois où j'ai passé en revue tous les lieux qui m'intéressaient. Puis je suis retourné sur chacun de ces lieux avec mon équipe afin de leur expliquer ce que j'avais en tête. La sixième fois, j'y suis retourné seul, un mois avant le tournage, pour aplanir les dernières difficultés (...) avoir des repérages intensifs m'a beaucoup aidé dans mon rapport à l'espace filmé. Grâce à ma connaissance des lieux, j'ai pu modifier, et parfois améliorer, la composition de mes plans lorsque c'était nécessaire."
Passages révèle la fascination de Yang Chao pour l'univers ferroviaire. En voici l'origine : "Mon père travaille dans une gare et les trains m'impressionnaient beaucoup lorsque j'étais enfant. Ils étaient si gigantesques et puissants qu'ils suscitaient en moi un sentiment mêlé de peur et d'admiration. Leur masse pouvait tout écraser, même s'ils apportaient aussi l'espoir de la découverte de pays inconnus. J'aime prendre le train et regarder à travers la fenêtre les paysages défiler horizontalement, même si le paysage n'a rien d'extraordinaire en soi, car il y a quelque chose de poétique dans le mouvement perpétuel de la lumière et des formes. Ma prédilection pour le travelling provient très probablement de là."
Le couple central du film est interprété par deux comédiens professionnels, mais le reste du casting se compose d'acteurs non-professionnels. Le cinéaste expose les vertus de ce mélange : "Les acteurs non-professionnels et les professionnels ont, bien sûr, des styles et des qualités différents. Je pense que ces différences ont créé une distance naturelle entre ceux, ce qui était précisément le résultat escompté, car il fallait que le couple vive dans son propre univers et qu'une distance évidente à l'oeil nu les sépare de leur environnement."