Western méconnu, Les Conquérants est réalisé en 1939, année très prospère pour le cinéma hollywoodien, à un moment où le genre américain par excellence retrouve progressivement ses lettres de noblesse.
Après La Chevauchée fantastique du studio United Artists, la Warner Bros propose à son tour son propre western, confié à l’un de ses réalisateurs les plus emblématiques au cours des années 1930 : Michael Curtiz. Si cet individu vous est inconnu, sachez que c’est lui qui réalise seulement trois ans plus tard l’exceptionnel Casablanca, avec Humphrey Bogart et Ingrid Bergman.
A l’inverse d’un autre western réalisé la même année, Sur la piste des Mohawks, dont elle emprunte également la technologie récente du Technicolor, cette nouvelle production du genre ne cache pas son important budget avec un nombre important de figurants et des scènes d’action époustouflantes. Si on peut légitimement penser à la spectaculaire course-poursuite dans un train en feu, il est également intéressant de préciser que Les Conquérants offre l’une des plus belles bagarres de saloon de l’histoire du western. Dans une rixe de plusieurs minutes, provoquée par une joute verbale entre ex-Confédérés et Unionistes, les tables, les chaises et les coups de poings pleuvent de tous les côtés dans un saccagement total et des cascades renversantes. Bien montée, bien rythmée, cette séquence est anthologique pour tous les amateurs des westerns, un vrai régal.
Mais même lors de cette incroyable bataille rangée, Michael Curtiz ne se délaisse pas d’un ton bon enfant qui est présent tout au long du film et qui le démarque de la grande majorité des autres œuvres du genre, plus sérieuses et plus approfondies. En effet, là où un western comme La Chevauchée fantastique, réalisé la même année par John Ford, inscrit les codes qui marqueront le genre dans les années à venir, Les Conquérants est surtout un divertissement peu original au scénario très simple et aux personnages presque pas développés.
Située au Kansas, plus précisément à Dodge City, ville frontalière du Far West, l’intrigue qui nous est contée se déroule de 1866 à 1875, et oppose le nouveau shérif Wade Hatton (Errol Flynn) au truand Jeff Surrett (Bruce Cabot) et à ses hommes. Dès le début, Michael Curtiz nous entraine à un rythme intense dans les plaines du Kansas, en suivant la ligne de chemin de fer récemment construite sur laquelle une locomotive fille à toute allure et fait la course avec une diligence. Cette scène symbolique peut être intéressante à restituer dans le contexte historique de l’après-guerre de Sécession.
A la suite du vote du Pacific Railway Act, une loi sur l’aménagement du premier chemin de fer du Pacifique, par le Congrès, en pleine guerre de Sécession (1862), les deux compagnies ferroviaires Central Pacific et Union Pacific sont autorisées à construire la première ligne de chemin de fer transcontinentale. Chacune part de son côté : Central Pacific démarre de Sacramento, en Californie, quand l’Union Pacific commence la construction à partir d’Omaha, dans le Nebraska. Le chantier de 3000 kms de voies ferrées commence en janvier 1863. Six ans plus tard, le 10 mai 1869, les deux portions font leur jonction au lieu-dit « Promontory », dans l’Utah, un évènement immortalisé par une célèbre photo et repris dans plusieurs œuvres littéraires, comme avec l’album de Lucky Luke intitulé « Des rails sur la prairie », et cinématographiques, avec par exemple le film Pacific Express, qui est d’ailleurs réalisé par Cecil B. DeMille la même année que Les Conquérants, en 1939.
Ce thème ferroviaire introduit et conclut le film. Entre les deux, la question du bétail est centrale et cristallise les tensions entre les principaux protagonistes, dans un conflit qui va ensuite devenir plus global. Cette thématique est également intéressante à aborder car on peut y retrouver une étonnante similitude avec le scénario de La Poursuite infernale, western réalisé en 1946 par John Ford au cours duquel une histoire de vol de bétail oppose également un shérif à une famille de truands.
Une autre particularité des Conquérants réside dans l’une de ses scènes au cours de laquelle on assiste au décès tragique d’un enfant, une représentation rare dans le cinéma hollywoodien et encore plus à l’époque. Bouleversante, cette tragédie brise complètement le ton naïf de l’ensemble de l’œuvre et nous ramène à une terrible réalité.
Le casting du film est la preuve concrète qu’on ne change pas une équipe qui gagne. En effet, un an après le grand succès des Aventures de Robin des Bois, déjà réalisé par Michael Curtiz, le réalisateur réunit une deuxième fois plusieurs des talents qui ont marqué l’aventure de Sherwood. D’abord, avec Errol Flynn, nouveau shérif au portrait stéréotypé de parfait beau gosse, dont la prestation est globalement convenable même si certaines émotions et certains comportements sont parfois surjoués. Avec lui, c’est encore la sublime et pétillante Olivia de Havilland qui joue le principal rôle féminin, tendre et courageuse dans la peau d’une jeune cow-girl sans peur et sans reproche. Enfin, c’est aussi la présence d’Alan Hale, l’imposant Petit Jean des Aventures de Robin des Bois, en associé volontaire mais maladroit du shérif Hatton.
Premier des trois westerns réalisés par Curtiz avant La Caravane héroïque (1940) et La Piste de Santa Fé (1940), Les Conquérants est peut-être le moins réussi de la liste, même si certaines scènes d’action valent le coup d’œil pour leur rythme bien mené et leurs cascades épatantes. Mais heureusement, le cinéaste fera mieux dès l’année suivante, avec La Caravane héroïque.