Des carrières de Bela Lugosi et Boris Karloff, on retient trop souvent leur seule interprétation respective de Dracula et Frankenstein. C’est une erreur, surtout au vu du reste de leur filmographie qui recèle de petits bijoux de films d’épouvante à l’ancienne et qui ont permis aux deux acteurs de développer leur jeu. C’est le cas de ce "Chat Noir", très librement adaptée de la nouvelle d’Edgar Allan Poe… dont il ne reprend, au final que le titre. En effet, le scénario ne traite pas, ici, de chat noir venant hanter son maître fou ici mais de l’affrontement entre deux vieux ennemis (Lugosi et Karloff) sur fond de rites sataniques et de phobie des chats (il fallait bien justifier le titre et c’est peu dire que cette justification est artificielle). Et, disons-le tout de suite, le principal intérêt de ce film est incontestablement la confrontation entre les deux monstres sacrés. D’un côté, Bela Lugosi fait montre de tout son talent et de son charme inquiétant en énigmatique docteur aux intentions mystérieuses. On est loin de l’interprétation statique (mais hypnotisante) du Comte Dracula qui a fait sa légende. De l’autre, Boris Karloff prête son inquiétante silhouette longiligne au grand méchant et arbore, une nouvelle fois, un look incroyable. Au-delà de l’interprétation des acteurs, c’est également la façon dont le réalisateur Edgar G. Ulmer a traité leur relation qui ne manquera pas de surprendre. En effet, les ennemis joue davantage au jeu du chat et de la souris (en inversant régulièrement les rôles) dans un climat d’accusations graves et de suspicions, alourdis par la promesse d’un sort funeste, sans jamais s’affronter physiquement… jusqu’à l’implacable final où le bourreau devient la victime de l’homme qu’il a tant fait souffrir. Cette conclusion est, d’ailleurs, une réussite puisqu’elle met définitivement les deux hommes sur un pied d’égalité quant à leur folie intérieure et leur violence, même si le réalisateur prend bien soin de laisser le rôle du méchant à Karloff (qui mérite de mourir) et celui du gentil à Lugosi (qui sauve la vie de tout le monde avant de subir une dernière injustice, achevant d’en faire une victime incomprise). La subtilité avec laquelle Ulmer dépeint ce face-à-face est, malheureusement, le seul point à mettre au crédit du réalisateur. Car, pour le reste, on comprend que son nom ne soit pas resté dans la mémoire collective tant son talent de metteur en scène n’est pas à la hauteur d’un James Whale. Ainsi, "Le Chat Noir" souffre d’un rythme inégal (des longueurs sont à déplorer) et de choix musicaux discutables pour ce genre de production. Ulmer aurait, également, gagné à davantage renforcer le côté lugubre de son intrigue. Il faut dire que la maison du méchant, épatante de modernité pour l’époque (le film date de 1934) s’éloigne considérablement des repères habituels des productions d’horreur Universal, qui nous ont davantage habitué aux châteaux sinistres et au vieux moulin abandonné. Heureusement, ces carences formelles sont compensées par l’évolution de l’intrigue, au point de faire de ce "Chat Noir", l’un des films les plus macabres des studios Universal (voir les cadavres de femmes conservés par le méchant ou encore le sort réservé à la fille de ce pauvre Vitus). "Le Chat Noir" est, donc, une réussite, certes imparfaite mais qui donnent l’occasion d’admirer ces deux extraordinaires acteurs qu’étaient Bela Lugosi et Boris Karloff qui, sans surprise, éclipsent totalement l’autre couple du film formé par les falots David Manners (l’éternel jeune premier des productions Universal qui n’aura jamais réussi à attirer l’attention du spectateur) et Julie Bishop. Les amateurs de ce cinéma d’antan ne pourront, donc, que se jeter sur ce film… même s’il reste inférieur aux classiques tels que "Dracula", "Frankenstein", "The Wolf Man" et autre "Homme Invisible".