Souvent considéré comme un des meilleurs films policiers américains, mais aussi comme un des meilleurs films de son auteur, "L'étrangleur de Boston" est une œuvre troublante, d'une puissance rare, en grande partie grâce au talent de ses interprètes jouant à l’unisson. Henry Fonda y campe le procureur en charge de cette sinueuse enquête. Comme souvent, cet acteur mythique du cinéma américain (l'American Film Institute le classe en sixième place des acteurs de légende) joue le rôle d'un homme intègre, courageux et jusqu'au-boutiste, incroyablement épris de justice. Refusant, dans un premier temps, de se saisir du dossier, le procureur à qui il prête ses traits mettra tout en œuvre et travaillera sans relâche pour coincer ce tueur de femmes qui terrorisa la ville durant des mois et des mois. Face à lui, Tony Curtis est littéralement bluffant dans la peau de ce maniaque dicté par ses pulsions sexuelles et meurtrières. Davantage connu, à l’époque, pour ses rôles dans des comédies romantiques ("Certains l'aiment chaud" de Billy Wilder, "Boeing, Boeing" de John Rich) ou dans des films historiques ("Spartacus" de Kubrick, "Les Vikings" du même Richard Fleisher), le futur interprète de Danny Wilde dans la célèbre série "Amicalement votre" s'était vu refusé catégoriquement le rôle-titre par les producteurs du film qui lui ont d'abord préféré Warren Beatty, Ryan O'Neil ou Anthony Perkins, le jugeant trop "léger" pour donner corps à cet étrangleur avec suffisamment de poigne. Mais Fleisher parvint finalement à imposer Curtis en tueur schizophrène et bien lui en a pris : celui-ci, habité par ce personnage ambigu et complexe, livre une composition en tout point admirable. Tour à tour pathétique et inquiétant, il effraie en prédateur froid et impulsif comme il parvient à nous faire ressentir une certaine empathie lorsqu'il se montre sous ses traits plus vulnérables de père de famille dépassé par ses propres pulsions. Les confrontations entre Henry Fonda et Tony Curtis valent franchement le détour, autant sur la forme que dans le fond.
La mise en scène de Richard Fleisher frappe également fort. Brillante et inventive, elle a énormément recours au split-screen et découpe ainsi l'écran comme un meurtrier taillade ses victimes. Le couteau ne tranche pas que la peau de femmes innocentes, il tranche également la matière filmique elle-même, à savoir la pellicule, la toile sur laquelle on regarde tout cela se dérouler. L'action est alors décomposée et démultipliée devant nos yeux, à l'image même de ce qu'est ce genre d'affaire dans la réalité : les différentes chaines de télévision s'en emparent, les unes des journaux aussi, sans oublier les pouvoirs politiques et l'opinion public. Les multiples aspects sous lesquels voir un tel cas prolifèrent. Fleisher a bien compris cela et le retranscrit habilement. Il crée une profusion d'écrans, multipliant ainsi les prismes par lesquels regarder : médias, police, justice, victimes, suspects, coupable... De plus, il offre une reconstitution très documentaire et documentée de ce fait divers, et se refuse à toute spectacularité complaisante et jugement hâtif, les crimes restant le plus souvent hors-champ et suggestions. De même, le meurtrier n'apparait pas pendant la première moitié du film. Ainsi le cinéaste jette un trouble encore d'actualité : est-ce bien le même assassin qui a frappé à chaque fois, ou Albert DeSalvo (le tueur joué par Curtis) a t-il été également accusé d'autres crimes qu'il n'a cette fois pas commis ? Fleisher fait également preuve d'une grande maitrise dans ses mouvements de caméra, jusqu'à une scène finale absolument saisissante qui n'est pas sans rappeler celle de "Psychose" d'Alfred Hitchcock (dans lequel jouait une certaine Janet Leigh, alors épouse de Tony Curtis).
Il y a, bien entendu, une ou deux scènes qui sonnent un peu "too-much" aujourd'hui (comme celle avec le médium), mais on oubliera cela très vite tant ce thriller a dans l'ensemble très bien vieilli, à tel point qu'il donne la leçon a beaucoup de productions contemporaines et apparaît même parfois comme avant-gardiste sur certains points. L'excellent "Zodiac" de David Fincher s'inspire très souvent de ce coup de maitre. A l'époque où est paru "L'étrangleur de Boston", l'affaire n'avait pas encore trouvé son épilogue judiciaire, qui a toujours suscité énormément de controverse, puisque l'instabilité psychologique et la fragilité mentale d'Albert DeSalvo ont rendu son cas difficile à statuer et sa responsabilité peu évidente à mettre en cause dans certaines scènes de crime. DeSalvo est mort en prison neuf ans après la sortie du présent film, poignardé à plusieurs reprises dans sa cellule par on-ne-sait-qui et sans réellement savoir pourquoi. Il n'avait toujours pas été reconnu coupable de tous les agissements qui lui étaient reprochés. Mais son âme maudite semble habiter la pellicule de ce thriller implacable et maîtrisé, à recommander très chaudement à tous les amateurs de reconstitutions criminelles et de films policiers réalistes.
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