Tout juste âgé de 32 ans, Spike Lee porte à bout de bras ce film, Do the Right Thing, qui lui vaudra la notoriété, puisque tout en en signant la mise en scène et le scénario, il en interprète le rôle "principal", celui de Mookie, livreur de pizzas dans la fameuse pizzeria de Sal, en plein centrée dans un quartier de Brooklyn.
Dans une première partie bien enthousiasmante, Spike Lee nous présente ce dit quartier de Brooklyn et sa ribambelle de personnages pittoresques et hauts en couleur. Parmi eux, il y a le "Maire", vieil alcoolique qui déambule dans les rues avant de s'improviser héros en sauvant un jeune enfant à deux doigts de se faire écraser par une voiture, et qui révèle son romantisme à fleur de peau en offrant un bouquet de fleurs à une vieille femme du voisinage. Il y a aussi Radio Raheem, monolithe taciturne qui arpente les ruelles du quartier en tenant sa grosse radio hurlante dans la main. Puis il y a Smiley, celui qui bégaie et montre sans cesse une photo où on peut voir Martin Luther King et Malcolm X réunis. Enfin il y a Love Senor Daddy, le présentateur de radio toujours joyeux, et définitivement une figure iconique du quartier.
En cette chaude et torride journée de juillet, tout ce petit monde se croise, se toise, se cherche des noises. Le lieu phare reste comme évoqué cette fameuse pizzeria, dirigée par l'italien Sal, immigré à Brooklyn il y a de ça une trentaine d'années. Juste en face de la pizzeria il y a le supermarché, dirigé par un Coréen, au grand dépit des trois vétérans afro-américains du quartier qui aimeraient bien le renvoyer en Corée, et l'appellent "Kung-Fu" quand ils souhaitent se procurer une bière. Au sein de cette cohabitation interraciale, les conflits s'insinuent souvent, inévitablement. Parfois on laisse sortir sa rage pour de simples peccadilles, des bagattelles, des broutilles: une radio dont le volume est trop fort, un mot ou un geste de trop, une voiture qu'on arrose d'eau, une paire de chaussures neuves sur lesquelles on marche. Mais ce sont ces petites choses qui ont certes l'air de rien mais qui mettent véritablement de l'eau sur le feu.
Do the Right Thing nous plonge directement dans ce petit monde auquel on s'attache très rapidement, mené par une sympathique bande ou "troupe" de comédiens, tous formidables (Spike Lee lui-même, Danny Aiello, John Turturro, Richard Edson, Ossie Davis, Samuel L. Jackson, Bill Nunn, Rosie Perez...), où on s'engueule peut-être - formidable séquence des insultes proférées en plan frontal par le représentant de chacun des différentes communautés présentes, coréenne, afro-américaine, italienne et hispanique - mais où on ne passe pas forcément aux actes.
Mais c'est sans compter un fâcheux incident dans la deuxième partie qui aggrave le tout, et finira même par provoquer la mort de Radio Raheem, ce monolithe taciturne qui se baladait tout le temps avec sa radio en main, et scandait les heures par l'entraînant titre Fight the Power du groupe 'Public Enemy'. Tout à coup, les conflits aboutissent à cette explosion de violence (après la mort de Radio Raheem à cause des policiers, on saccage la pizzeria de Sal de fond en comble). Au lieu d'essayer d'arranger, on en vient aux mains.
C'est là que le film de Spike Lee s'impose, en même temps qu'un formidable moment de cinéma marqué par l'énergie communicative des comédiens et le caractère incroyablement pittoresque des personnages qu'ils interprètent, comme une véritable sonnette d'alarme qui vient crier "Halte!" à la violence dans la résolution des conflits entre différentes communautés ethniques. En outre, en ajoutant après le film deux discours différents quant à l'usage de la violence dans la résolution des conflits interraciaux, l'un de Martin Luther King (qui la proscrit dans tous les cas), l'autre de Malcolm X (qui la préconise en cas de défense légitime), le réalisateur-scénariste-producteur-acteur confère une autre dimension, plus profonde encore peut-être (de réflexion, d'interaction avec le public - loin, en fait, de la neutralité qu'on lui a reproché à la sortie du film) à son opus, qui le fera légitimement entrer dans la cour des grands.