C'est un fait divers qui est à l'origine de Gerry : deux garçons étaient partis dans le désert californien et un seul en était revenu. "Je me rappelais une histoire vraie racontée par Matt (Damon), sur deux types qui s'étaient perdus lors d'une randonnée. On a rassemblé ce qu'on savait là-dessus et j'avais de mon côté une certaine expérience des étendues désertes, tout comme Matt, bien qu'on ne se soit jamais vraiment perdus. Ainsi que les histoires que Casey (Affleck) avait glânées à l'époque. On a commencé à réflechir ensemble à tout ça et au désert, sans tenir compte des éléments précis du fait divers. On n'a jamais vraiment exploré d'autres pistes", explique Gus Van Sant. Pour Elephant, son film suivant, le réalisateur prendra de nouveau pour point de départ un fait divers : la tuerie de l'université de Columbine.
Gerry est tourné en 2001, et sort de façon très confidentielle aux Etats-Unis, en février 2002. Ce film radical reçoit néanmoins le soutien de critiques, et de quelques personnalités telles que le réalisateur John Waters qui avertit : "Ne couchez pas avec quelqu'un qui n'aime pas ce film ! " Gerry est projeté en France à l'occasion du Festival de Deauville en 2002 et, la même année, aux Rencontres Internationales de cinéma à Paris. Mais le film ne trouve toujours pas de distributeur et acquiert le statut de long-métrage culte, maudit, dans la carrière du réalisateur de Portland. Il faudra attendre le triomphe rencontré à Cannes par le film suivant de Gus Van Sant, Elephant, la Palme d'Or 2003, pour que Gerry distribué par Marin Karmitz, sorte en salles.
En 1994, Matt Damon passe des essais pour jouer dans Prête à tout de Gus Van Sant en 1995. Refusé par le réalisateur, qui le juge trop jeune pour jouer le rôle de Russel, le comédien lui suggère de choisir Casey Affleck, qui sera finalement engagé. Celui-ci jouera par la suite un petit rôle dans Will hunting, le film suivant de Van Sant, interpreté et coécrit par son frère Ben et... Matt Damon. Damon et Casey Affleck sont co-auteurs du scénario Gerry, film qui les réunit devant la caméra.
Gus Van Sant a tourné Gerry juste après un film de studio à gros budget, A la rencontre de Forrester avec une vedette Sean Connery Le cinéaste est conscient du fait que le film occupe une place à part dans sa filmographie : "Ce qu'on a fait dans Gerry, je ne l'avais jamais fait auparavant; J'avais travaillé sur des scénarios qui n'étaient pas conventionnels, en terme de dramaturgie, comme Drugstore cowboy ou My Own Private Idaho. Il y a des exemples d'expérimentation dans mon travail, comme les images accélérées dans Idaho, qui sont devenues une métaphore de la narcolepsie dont souffrait le personnage. Mais d'un point de vue stylistique, c'est une première pour moi, tenter de revenir aux débuts du cinéma comme s'il n'y avait jamais au de révolution industrielle."
Gerry est composé de longs plans-séquences. Après ce film tourné en 2001, Gus Van Sant souhaite prolonger ce travail sur le temps. C'est ainsi qu'il tourne Elephant, un autre long-métrage qui suit des adolescents, perdus non plus dans un désert, mais dans les couloirs d'une université.
"Mon désir est d'analyser la direction que le cinéma peut prendre et Gerry une tentative pour qu'on cesse enfin de piétiner, confie Gus Van Sant, qui reproche à des cinéastes tels qu'Oliver Stone ou Darren Aronofsky de se conformer à un style hérité de la chaîne MTV : "Si ce n'est pas bon, on passe au noir et blanc, on fait plus voyant, histoire de clouer le spectateur dans soin fauteuil. Tout le monde le fait; C'est un style nerveux qui ne mène nulle part. Je suppose que je suis un cinéaste qui refuse le style MTV."Pour mener à bien ce projet, le réalisateur a eu peu d'argent : "On a essayé d'utiliser un minimum de moyens, essentiellement pour des raisons budgétaires. Je crois qu'on n'était que trente sur ce tournage de vingt-six jours. Personne au maquillage, pas de lumières, ni de véritable scénario. Le plus gros de l'équipe était composé de machinistes car on avait huit cent mètres de rails à poser."
Gerry a été présenté en 2002 aux Festivals de Sundance en février, Locarno en août et Deauville en septembre.
Les personnages du film s'appellent tous deux Gerry. Gus Van Sant revient sur les significations de ce nom énigmatique : " "Gerry" signifie "raté". "Hé, raté, viens là" ou "Regarde-moi ce raté". Les personnages n'ont pas vraiment de nom. Ils s'appellent "du con" entre eux. C'est comme dire "mec" sauf que ça veut dire plus que ça. Mon souhait, au départ, était de laisser Matt et Casey parler comme ils l'ont toujours fait avec leurs amis. Ils m'ont donné des versions différentes de l'histoire du mot "Gerry". Alors j'ai fini par demander à Casey Affleck ce que signifie "Gerry" et il m'a tout expliqué. Apparemment, il y a eu beaucoup de "Gerry" dans leur vie, des types bien, mais aussi cet album d'un certain Gerry acheté acheté dans un magasin de disques. J'ai vu cet album et le type en question a l'air d'un Asiatique branché. Quoi qu'il en soit, tous ces "Gerry" différents sont simplement devenus un terme désignant des choses et des gens ratés ou bizarres."
Le cinéaste évoque les réalisateurs, le plus souvent européens, auxquels il a pensé en tournant Gerry. Il s'agit de réalisateurs qui se situent à la lisière du cinéma expérimental, en travaillant notamment sur le temps réel. " Je pensais à des films et à des cinéastes dont je me souvenais. James Benning, par exemple, et l'un de ses films The United States of America, où il traverse le pays en voiture. Dans ceux de Warhol, mais de façon différente, on trouve aussi le cas de caméras tournant de longues séquences. Je ne pense pas qu'il m'ait beaucoup influencé mais il y a indéniablement un lien. Andrei Tarkovski m'a influencé tout comme Alexandre Sokurov, Chantal Akerman avec Jeanne Dielman, Fassbinder Derek Jarman Blue, Bela Tarr mais aussi Abbas Kiarostami et Jacques Tati. Aux Etats-Unis, les films doivent être des feux d'artifices qui "bousculent" le spectateur sans trop lui laisser le temps de réfléchir. Ces réalisateurs-là, eux, vous font réfléchir. On a dû m'ensorceler... et j'ai été possédé par le désir de travailler de cette façon."
Pour accompagner la traversée des deux personnages de Gerry, le réalisateur a choisi une partition d'Arvo Pärt, un compositeur de musique contemporaine, d'origine estonienne, qui est au générique d'autres films contemplatifs tels que Japon du mexicain Carlos Reygadas ou Eloge de l'amour de Jean-Luc Godard. Certains extraits choisis par Gus Van Sant figuraient déjà dans la bande originale de Heaven de Tom Tykwer. Par ailleurs, les oeuvres de ce musicien qui accorde une grande place au silence ont été employées dans Little Odessa de James Gray, Depuis qu'Otar est parti de Julie Bertuccelli, ou encore La Chambre des officiers de François Dupeyron.
Matt Damon et Casey Affleck ont participé à l'écriture du film au fur et à mesure du tournage. Le réalisateur révèle que les liens qui unissent les comédiens ont nourri les personnages du film : "Gerry explore les rapports entre Matt et Casey dans la vie. On a structuré l'histoire de sorte que le survivant soit le "mâle dominant". Dans la réalité, ce rapport existe entre eux car Casey est plus jeune et semble toujours jouer le moins responsable des deux. Mais en fin de compte, je pense que Casey savait que le perdant était le rôle le plus intéressant. De toute façon, cette dynamique existe bel et bien entre eux dans la vie et le film était aussi là pour véhiculer cette tension."
L'équipe de Gerry est d'abord partie tourner en Argentine, mais, en raison du froid notamment, est rentrée aux Etats-Unis. Gerry ayant été réalisé dans l'ordre chronologique des scènes, le début du film se déroule en Argentine, et la suite dans le désert Californien.
Gerry est produit par Dany Wolf, avec qui Gus Van Sant collabore depuis 1996 et Ballad of the Skeletons, un court-métrage sur l'écrivain Allen Ginsberg. Depuis, Wolf a produit tous ses longs-métrages : Psycho, A la rencontre de Forrester et Elephant.