Sortie en 1962, ''Eva'' de Joseph Losey est un film franco-italien avec Stanley Baker, Jeanne Moreau et dans un rôle hélas trop peu exploité Virna Lisi. Il fut à sa sortie (et à juste titre) mal reçu par la critique et le public avant d'être soi-disant réhabilité, pour des raisons qui restent assez obscures.
Adapté d'un roman policier de James Hadley Chase, ''Eva'' raconte la passion dévorante de l'écrivain Tyvian Jones (Stanley Baker, déjà interprète du film précédent de Losey : ''Les Criminels'' en 1960) pour Eva Olivier (Jeanne Moreau, qui, personnellement, ne m'a jamais subjugué), une femme séductrice et débauchée. Marié à Francesca (Virna Lisi, rayonnante), Tyvian se détruira peu à peu face à cet être malfaisant qu'est Eva. Quoiqu'il en soit, l'histoire a vraiment un goût de déjà-vu (l'homme faible face à la femme manipulatrice, shéma classique).
Une chose est du moins, sûre et certaine : ''Eva'' annonce, par ses thèmes, les grands films de Losey à venir. La relation amour/ haine qu'entretient Tyvian pour Eva ? C'est évidemment ce qu'éprouvera Tony (James Fox) pour son majordome, Barrett (Dirk Bogarde) dans ''The Servant''( film réalisé juste après ''Eva''). La fascination est au cœur de l'oeuvre de Losey (toujours ''The Servant'' mais aussi, dans un niveau supérieur, ''Accident'' en 1967). ''Eva'' ne déroge pas à cela. Seulement voilà, cette fascination doit toujours aller de paire avec un autre élément fondamental : l'ambiguïté. Gare aux contre-sens : il ne s'agit pas tellement (où plutôt seulement) pour Losey de scruter l'ambiguïté d'une relation (en visionnant ''The Servant'', on a très vite compris que la relation entre Tony et Barrett est purement homosexuelle) mais l'ambiguïté des êtres. Et c'est ici justement qu' ''Eva'' s'effondre totalement. Alors oui, tout est suintant de doutes concernant les sentiments de Tyrian envers Eva (Amour fou ? Haine prête à éclater ? Un peu des deux?) mais la vraie question est : qu'en est-il du caractère des deux protagonistes principaux ? Et là, autant le dire tout de suite : Losey ne fait pas dans la dentelle. Tyvian Jones est un écrivain cynique et faible,
qui se révèle être un imposteur, son célèbre roman ayant été écrit par son frère
. Quant à Eva, c'est quand même un best of de toutes les vicissitudes de l'âme humaine : méprisante, dépensière, sadique, manipulatrice (et j'en passe!) et n'aimant que (devinez quoi ?)... l'argent ! Résultat ? On se fout totalement (mais totalement) de suivre ces personnages qui, certes, sont tous détestables, mais, pire encore n'ont aucun intérêt (théorie personnelle : les héros de films, à défaut d'être attachants, doivent au-moins être intriguants pour le spectateur). Mais il y a pire (oui, Losey a réussit), ''Eva'' se trouve être une œuvre d'un très grand statisme. C'est un film très froid où hélas la froideur crée le caractère statique de l'oeuvre. La froideur se trouve dans la mise-en-scène de Losey (belle photo très frigorifiée de Gianni Di Venanzo, ayant la chance d'être assisté par le grand chef op' italien Pasqualino De Santis), dans le comportement des personnages (Eva est toujours méprisante et détestable) et surtout dans la relation entre les protagonistes. Problème n°2 : ''Eva'' surprend par l'absence d'évolution des rapports entre les anti-héros du film. Tyvian sera tout le long du film dominé par Eva. Et Eva sera tout le long du film supérieure à Tyvian. Le film devient très vite redondant et lassant pour le spectateur qui aura encore plus vite compris tous les enjeux de cette relation caricaturale (Eva l'est particulièrement, caricaturale, jouée de manière très, trop convenue par Jeanne Moreau). Pas de véritable évolution, pas de retournement de situation... Losey méprise ses personnages au mauvais sens du therme en les claquemurant en figures stéréotypées. Il y a pourtant une source de lumière dans cette œuvre : Francesca, la femme de Tyvian. Malheureusement, Francesca est complètement rejetée à l'arrière-plan
et finira par se suicider
, c'est d'ailleurs dans ce fait là qu'éclate la haine de Losey envers ses personnages. En tout cas, si Losey a voulu nous les faire haïr, c'est gagné. Petit problème : il aurait mieux fait de nous faire aimer au passage son film, au lieu de s'acharner autant à détester ses créatures.
On l'aura compris, Losey est ici très acide. Etait-ce en conclusion une raison suffisante pour de 1, réaliser un film glacial et figé, de 2, créer des protagonistes tout juste à bon à jeter aux crocodiles ? On a le droit de prendre de haut, voire de mépriser ses protagonistes, mais on peut le faire de manière plus festive et attrayante, comme le fera magistralement en 1973 Mankiewicz avec ''Le Limier'' (voir ma critique). Rien ne nous pousse à rester en compagnie d' ''Eva'', c'est pourquoi on a tôt fait de l'oublier bien, bien vite (contrairement à cet abruti de Tyvian Jones).