Réalisateur iconoclaste, l'israélien Uri Zohar a créé une onde de choc avec son premier film, Un trou dans la lune, en 1964. Le film est notamment très remarqué à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes. Il a alors bouleversé le paysage cinématographique et lancé le courant dit de la Nouvelle Sensibilité israélienne. Le cinéaste est consacré sur la Croisette en 1967 pour Trois jours et un enfant, décrochant le Prix d’interprétation masculine pour la performance d’Oded Kotler. Icône incontournable de la bohème de Tel-Aviv, le metteur en scène dresse le portrait de sa génération dans sa Trilogie de la plage avec Les Voyeurs, Les Yeux plus gros que le ventre et Sauvez le maître nageur. C’est une figure toujours très controversée aujourd’hui : il a en effet arrêté sa carrière cinématographique à la fin des années 70 pour devenir un rabbin ultra-orthodoxe.
Deuxième opus de la "Trilogie de la plage", Les Yeux plus gros que le ventre est le long-métrage le plus personnel d'Uri Zohar. Arik Einstein y livre sa meilleure performance en interprétant le meneur de jeu de l’équipe de basket. Tourné en noir & blanc, ce film est très inspiré Nouvelle vague et a notamment systématiquement recours à l’improvisation dans les situations et les dialogues.
Historien du cinéma, critique et enseignant, Ariel Schweitzer livre une analyse du phénomène Uri Zohar : "Aujourd’hui Rabin ultra-orthodoxe, Zohar renie son passé cinématographique qu’il associe à une période noire dans sa vie. Et pourtant, les films qu’il a laissés, considérés comme des grands classiques du cinéma israélien, témoignent d’un talent, d’une inventivité et d’une sensibilité hors pair, offrant une vision lucide, parfois crue, de la société israélienne de l’époque. (...) Il fait son entrée dans le cinéma israélien en tant qu’acteur dans des « films sionistes », des épopées cinématographiques à l’accent nationaliste et héroïque qui prédominent dans le paysage cinématographique israélien des années 50 (il joue également un petit rôle dans Exodus d’Otto Preminger). (...) C’est son premier long-métrage, Un trou dans la lune (1964), sélectionné à la Semaine de la critique à Cannes, qui bouleverse véritablement le paysage du cinéma israélien. D’une grande radicalité formelle, cette oeuvre autoréflexive, qui décrit le tournage d’un film sioniste dans le désert du Néguev, est le premier film israélien qui critique d’une manière directe, sous forme de parodie, le sionisme et son devenir bureaucratique dans l’Israël des années 60. Un trou dans la lune est la pierre inaugurale de « la Nouvelle Sensibilité », un courant de cinéma d’auteur largement influencé par le cinéma moderne européen des années 60-70, notamment par la Nouvelle vague, et dont Uri Zohar était le chef de file. (...) Au début des années 70, le cinéma d’Uri Zohar évolue en procédant à une synthèse réussie entre un cinéma d’auteur et un cinéma plus populaire. Dans Le coq (1971) et notamment dans sa « Trilogie de la plage » – Les Voyeurs (1972), Les Yeux plus gros que le ventre (1974) et Sauvez le maître nageur (1976) – Zohar élabore une sorte d’autobiographie fictionnelle en mettant en scène des héros quadragénaires mariés et pères de famille, qui refusent d’assumer leurs responsabilités familiales et sociales, préférant passer leur temps sur la plage à jouer et à draguer les filles. Traités à l’époque de leur sortie comme des « comédies de plage » plus ou moins légères, ces films sont perçus aujourd’hui comme un miroir tragique, prémonitoire, de la vie de son réalisateur (qui y joue également les premiers rôles) et de toute une génération bohème, post-sioniste, qui a trouvé son modèle en la personne d’Uri Zohar. C’est une critique frontale de la virilité et du machisme israéliens, une vision terrible d’une masculinité incapable de fonctionner en dehors de l’armée ou de tout autre groupe masculin de substitution."