Comme pour de nombreux autres metteurs en scène, la réalisation de son deuxième film a été une expérience difficile pour Bahman Ghobadi. Tout juste honoré de la Caméra d'Or lors du Festival de Cannes 2000 pour Un temps pour l'ivresse des chevaux, le metteur en scène a enchaîné avec Les Chants du pays de ma mère, sur un film bien différent du précédent dans une veine plus truculent tout en gardant la même philosophie: en tant que cinéaste, il a des responsabilités vis à vis du spectateur. Ces responsabilités sont d'autant plus grande pour lui qui a obtenu un prix aussi important pour sa première oeuvre.
Les avions irakiens sillonnent le ciel du Kurdistan. Pendant ce temps-là, juste en dessous, un instituteur tout droit sorti du Tableau noir fait la classe à ses élèves, en plein air. Quoi de plus naturel en somme que le thème de la leçon porte sur les avions? En guise de conclusion, Bahman Ghobadi nous montre l'une des images les plus enfantines qui soient: un lâché collectif d'avions en papier.
Comme de nombreux cinéastes iraniens, Bahman Ghobadi nourrit une grande admiration pour Abbas Kiarostami. Mais avant même de réaliser son premier film, Un temps pour l'ivresse des chevaux, le futur cinéaste originaire du Kurdistan a même assisté Kiarostami sur l'un de ses tournages, celui du Vent nous emportera en 1998. A coup d'appels téléphoniques insistants, Bahman Ghobadi a réussi à convaincre Kiarostami, qui venait tout juste de recevoir une Palme d'Or pour Le Goût de la cerise, de tourner au Kurdistan. Durant le tournage proprement dit, Bahman Ghobadi a personnellement veillé à ce que Kiarostami soit bien traité et soit satisfait de l'hospitalité des Kurdes. Toute sa famille a mis la main à la pâte pour que leur hôte puisse travailler dans les meilleures conditions.
En 2000, un an après son expérience avec Abbas Kiarostami, Bahman Ghobadi assiste Samira Makhmalbaf pour l'aider à mener à bien son projet de film au Kurdistan. Il va apporter tout son savoir concernant la culture kurde afin qu'aboutisse Le Tableau noir, le deuxième film de cette jeune réalisatrice d'à peine vingt ans. Bahman Ghobadi est également devenu acteur durant ce tournage en interprétant l'un des deux professeurs itinérants cheminant à travers les montagnes du Kurdistan iranien.
Celui qui est devenu le premier cinéaste kurde raconte à quel point il a été heureux de pouvoir contribuer à des films qui rendent enfin honneur à sa région:"On a tourné beaucoup de films à propos des Kurdes, mais ce qui m'importait était d'attirer chez moi des réalisateurs de qualité, donnent une image juste de mon pays. C'est ma détermination à montrer une identité."
Avant de réaliser son premier long métrage, Un temps pour l'ivresse des chevaux, Bahman Ghobadi avait réalisé une vingtaine de courts métrages, dont Vivre dans le brouillard primé au Festival de Clermont-Ferrand 1999. Bahman Ghobadi raconte qu'elle était la nécessité pour lui de faire des films à ses débuts:"J'ai beaucoup tourné avec la télévision locale qui me donnait 200 dollars pour faire un film. Je demandais alors à toute ma famille d'y jouer. Faire des documentaires pour moi est économique: pour que le propriétaire de notre maison ne nous jette pas dehors, je le faisais jouer. C'est ainsi que je payais le loyer."
Outre une projection au Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard, Les Chants du pays de ma mère a eu les honneurs de nombreux festivals internationaux. Au Festival de Douarnenez, se déroulant du 16 au 23 août 2003, un hommage lui a été rendu. En revanche, la plaque d'or du Festival international de Chicago a eu un goût amer pour le cinéaste iranien. Ce dernier a décidé de renvoyer ce prix au président américain George W. Bush pour protester contre la non-obtention d'un visa d'entrée pour les Etats Unis et contre le fait que Abbas Kiarostami n'avait pas pu non plus obtenir de visa pour aller honorer l'invitation du festival du cinéma de New York. "les autorités américaines m'ont fait lanterner pendant trois mois pour que je puisse participer au festival, elles m'ont fait aller deux fois à Dubaï en me donnant l'assurance à chaque fois que j'y décrocherais un visa, et à chaque fois en vain alors que je suis déjà allé trois fois aux Etats-Unis. Alors j'ai décidé d'envoyer mon prix, décerné pour le regard humain porté dans mon film, au gouvernement américain pour le regard négatif qu'il porte sur les Iraniens."