"Ce qui m'a poussé à faire cette œuvre, c'est le gâchis qu'on fait de tout. C'est cette civilisation de masse où bientôt l'individu n'existera plus. Cette agitation folle. Cette immense entreprise de démolition où nous périrons par où nous avons cru vivre. C'est aussi la stupéfiante indifférence des gens sauf de certains jeunes plus lucides". Bresson, 1977. Aujourd’hui, l’agitation folle, l’entreprise de démolition, la stupéfiante indifférence, n’ont jamais été autant d’actualité. Le suicide de notre civilisation n’a jamais été aussi proche. Quand Bresson décide de se dresser contre la société industrielle, l’aliénation de l’homme qu’elle engendre par la perte de toute conscience morale, cela donne un chef d’œuvre d’une noirceur et d’un pessimisme sans équivalent, qui imprègne durablement nos consciences endormies. Le propos n’est pas nouveau, simplement oublié, par facilité, et ce que Bresson voyait comme une crise générationnelle s’est dramatiquement aggravée, se transformant en une véritable crise de civilisation, voire une crise anthropologique. La crise de sens que traverse Charles, matérialisée par le conflit qui oppose son monde intérieur à la réalité physique du monde qui l’entoure -monde qu’on pourrait appeler, à la suite d’Ivan Illich, "l’Absurdistan"- n’est plus la crise d’une adolescence bourgeoise, mais bien la crise de toute notre civilisation occidentale. "La croissance? La croissance de quoi? Du bonheur? Par la carte de crédit?" dira Charles à son psychanalyste. Combien juste est cette réflexion, et combien nous ne sommes même plus capables de nous la poser, tant la société a éclaté, fragmenté et piétiné nos rêves d'émancipation. On va devoir se reposer ces questions rapidement: espérons qu'il ne sera pas trop tard. "Le diable probablement", ou quand Bresson met son immense talent au service d'un riche propos. Un film d'une incroyable force (exprimée avec les moyens les plus sobres), qui, lorsqu'il s'achève, nous laisse définitivement bouleversés.