Les égarés, film d'André Téchiné sorti en 2003 nous entraine dans une aventure intimiste sur fond de conflit armée, en l'occurence, la seconde guerre mondiale. Bien que la toile de fond du film soit ladite guerre, le long-métrage s'éloignera vite de son contexte historique pour ouvrir une sorte de parenthèse sous forme de récit initiatique.
Juin 1940, Les allemands prennent possession de Paris, c'est l'exode massif vers le sud de la France. Odile (Emmanuelle Béart), une institutrice veuve, fuit la capitale à bord de son vieux tacot en compagnie de ses deux enfants, Philippe (Grégoire Leprince-Ringuet) et Cathy (Clémence Meyer). Lors d'un bombardement, la voiture est détruite et la famille est contrainte de se réfugier dans la forêt en compagnie d'un mystérieux jeune homme, Yvan (Gaspard Ulliel), aussi débrouillard qu'inquiétant.
André Téchiné sait prendre le spectateur au dépourvu. Son film s'ouvre sur des scènes banales utilisant la guerre en toile de fond comme on a pu en voir des centaines dans de nombreux films (fuite massif, peuple en déroute, bombardements, panique, morts...). Mais passé cette ouverture et l'exposition des personnages, un tout autre film commence en nous prenant totalement par surprise. Odile et sa famille se retrouvent esseulés, perdus dans la forêt en compagnie d'un garçon louche mais sympathique et touchant, Yvan, 17 ans. Ensemble, ils trouvent une maison abandonnée et décident de s'y installer. Dès lors, on assiste à une sorte d'aventure aux allures de récit initiatique. Yvan devient une sorte de mentor pour Philippe, 13 ans, à la recherche d'une figure paternelle qui lui fait cruellement défaut et qui a exacerbée sa sensibilité ; ce qui inquiète Odile, éprouvant une certaine défiance vis-à-vis d'Yvan, trop fougueux. Le film prend ensuite la direction du huis-clos, la famille recomposée essayant de vivre en autarcie et totalement cachée du reste du pays. Preuve de cette sorte de parenthèse temporelle ouverte par les personnages, on verra ceux-ci manipuler à leur guise les horloges cassées de la maison essayant de deviner l'heure qu'il est comme s'ils se retrouvaient hors du temps et de l'espace, protégés de l'horreur de la guerre mais également de la civilisation. Vivant de cueillette et de chasse, le groupe se maintient et Odile baisse la garde, prenant Yvan sous aile et tissant avec le jeune homme une relation attendrissante et emplie d'humanité.
Le titre est très évocateur, Les égarés. Ces personnages se sont perdus, au sens propre comme au figuré. La guerre a indéniablement rédéfini tous les fondements de leur vie et pour se reconstruire, cette sorte de cocon à l'intérieur duquel le groupe se réfugie va permettre de se retrouver après s'être «égaré». Téchiné filme l'espace de façon sobre et efficace, magnifiant les sublimes paysages campagnards français ainsi que l'imposante maison d'époque appelant une certaine mélancolie nostalgique. Ambiance feutrée, douce, presque caressante...Le cinéaste nous exhorte ainsi à ouvrir nous même une parenthèse le temps de son film afin de nous y reposer, de nous laisser choyer par l'évocation d'une vie sans temporalité où seuls comptent les rapports humains, les vrais. En ce sens, il convient de souligner la prestation toute en délicatesse d'Emmanuelle Béart. La comédienne campe une mère courage à la fois solide et fragile d'une extrême sincérité. Gaspard Ulliel, véritable révélation à l'époque de la sortie du film, joue un Yvan troublant, vulnérable, cachant sous une carapace de coriace, un être sensible et attachant. Le jeune homme devient une sorte de grand frère pour les enfants d'Odile (Grégoire Leprince-Ringuet et Clémence Meyer, éblouissants de spontanéité). N'hésitez pas à vous perdre à votre tour avec Les égarés.