Arthur Penn, cinéaste intellectuel venant du théâtre et de la télévision déclarait à propos de "The Missouri Breaks", western baroque tourné en 1976 avec Marlon Brando et Jack Nicholson que c'était un "happening hollywoodien". Happening veut dire spectacle improvisé laissant toute liberté d'interprétation au spectateur. Une façon sans doute de renier un peu ce film pour lequel il a toujours estimé n'avoir pas eu assez de temps de préparation en raison de l'emploi du temps impossible à concilier des trois principaux protagonistes alors à l'apogée de leurs carrières respectives. Jack Nicholson vient tout juste de remporter l'Oscar pour "Vol au-dessus d'un nid de coucou" (Milos Forman, 1975) ce qui l'assoit définitivement comme un acteur de premier rôle. Marlon Brando est lui sorti de la disgrâce des studios grâce au "Parrain" (Francis Ford Coppola, 1972) et il vient de faire scandale en Europe avec "Le dernier tango à Paris" (Bernardo Bertolucci, 1973). Quant à Arthur Penn, depuis les succès critiques et publics de "Bonnie and Clyde" (1967) et de "Little Big Man" (1970), il peut imposer ses points de vue aux producteurs. C'est Elliot Kastner d'United Artists qui lui envoie le scénario écrit par Thomas McGuane, écrivain épris des grands espaces du Montana et flirtant non sans une pointe d'humour avec la contre-culture de son temps. Arthur Penn comme Marlon Brando et Jack Nicholson ne sont guère emballés par l'idée du film mais tourner ensemble finit par les convaincre de rejoindre le projet. Des raisons financières motivent encore un peu plus Penn qui a obtenu de planter sa caméra là où il avait dirigé Dustin Hoffman dans "Little Big Man". Malgré le peu d'enthousiasme initial vaincu seulement par l'envie d'une rencontre, le projet promet beaucoup et excite grandement la presse notamment par la faculté des trois hommes à se jouer des conventions. Marlon Brando on le sait, n'est plus motivé que par des rôles où il pourra donner libre cours à son humeur vagabonde qui l'incite à emmener ses personnages là où son instinct le guide. Avec le recul beaucoup de ses échecs de cette période s'avèrent captivants tellement Brando imprime à l'écran une personnalité hors du commun qui donne à ses rôles une tonalité équivoque proposant souvent des interprétations paradoxales. Ainsi "Les révoltés du Bounty" (Lewis Milestone, 1962), "Reflet dans un œil d'or" (John Huston, 1967), "Le corrupteur" (Michael Winner, 1971), "Le dernier tango à Paris", ou plus tard "Apocalypse now" (Francis Ford Coppola, 1979) ont pour pivot central l'ambigüité salvatrice que leur apporte Brando dans laquelle certains n'ont voulu voir qu'un manque d'envie manifeste, prétexte aux caprices d'une diva gavée par des cachets astronomiques pour le coup injustifiés. A coup sûr, l'idée de n'apparaitre qu'au bout de quarante minutes dans le film n' a pas déplu à l'acteur fantasque tout comme celle qu'il a proposée au réalisateur de changer d'apparence vestimentaire à chacune de ses scènes. Prenant comme contexte, le thème westernien ultra classique de la lutte des grands propriétaires terriens contre les voleurs de chevaux et de bétail, le film s'articule autour du point de passage entre la loi du plus fort qui régissait les conflits de toute nature depuis les débuts de la colonisation du vaste continent et un système juridique destiné à protéger les biens et les personnes. David Braxton (John McLiam) riche exploitant dominateur, est justement adepte de cette tradition des jugements expéditifs savamment mis en scène pour inspirer la crainte à ceux qui voudraient s'en prendre à son pouvoir.
L'ouverture du film faussement bucolique et à dessein teintée des images de groupes chères à Robert Altman est somptueuse, démontrant s'il en était besoin
, la grande finesse d'Arthur Penn qui profite de l'effet de surprise qu'il provoque pour affirmer d'entrée l'idée que ce western ne sera pas comme les autres. Tom Logan, le chef des voleurs de chevaux encore jeune, interprété par Jack Nicholson sentant sans doute venir le changement d'époque ne rêve que de sédentariser et de régulariser son activité à travers l'exploitation d'un petit ranch. Jane Braxton, la fille du riche propriétaire (formidable Kathleen Lloyd) encore plus jeune, affiche un féminisme avant-gardiste, la poussant dans les bras de celui qui spolie son père dont elle réprouve les méthodes. Arrive ensuite Robert Lee Clayton, tueur à gages réputé, pudiquement appelé "régulateur" ou plutôt Marlon Brando en personne qui par sa grandiloquence mâtinée d'un ridicule grotesque va à lui seul réduire à néant le mythe de l'Ouest et se faire le fossoyeur d'une époque qui n'avait rien du romantisme vanté par la geste westernienne.
La plupart du temps travesti, notamment quand il doit donner la mort, son tueur à la virilité incertaine ne s'aventure pas dans les improbables duels au revolver qui ont bâti la légende des Billy the Kid et autres Jesse James mais abat ses victimes dans le dos ou pendant leur sommeil, plus sûr moyen de rester en vie
. Une prestation inoubliable qui peut être rejetée si elle n'est pas contextualisée. Arthur Penn qui avait déjà salement terni le mythe avec "Le Gaucher" (1958) et "Little Big man" (1970), jette un nouveau pavé dans la marre avec ce "happening hollywoodien" comme il nommait ce film déroutant. Le tout sans oublier de faire montre de sa sensibilité dans les très belles scènes d'amour entre Jack Nicholson et Kathleen Lloyd. Par son casting de très haute volée, la maitrise de son réalisateur ainsi que par la variété de ses atmosphères et de ses prises de vue "The Missouri Breaks" est comme un kaléidoscope devant lequel le spectateur peut fuir ou rester fasciné par les changements de couleur.