On ne dira jamais assez que Bergman est un des plus grands cinéastes qui soit. Avec "L'oeuf du serpent", qui s'impose comme LA reprise inévitable de cet été, le cinéaste suédois réalise une oeuvre d'une dimension extraordinaire sur la montée du nazisme dans les années 20. Dans un Berlin délabré, en proie à la pauvreté, à l'insalubrité, les personnages, écorchés vifs par l'injustice de leurs destinées, sombrent peu à peu dans la folie, en même temps que le monde, intimement dirigé par Hitler, s'égorge tout seul. La misère qui fait la première partie du film, saisissante de tristesse et de désespoir, communiquant un état d'inquiétude et d'insuffisance difficilement surmontable, constitue la mise en valeur des protagonistes ; ici ressort la poésie des beaux visages, des torpeurs masquées, des tortures de l'âme. Car "L'oeuf du serpent" est un film profondément torturé, macabre et d'un tragique absolument poignant. La force du film, rythmé comme aucun autre par la force des dialogues et le magnétisme des acteurs, est probablement la tension qu'il maintient d'un bout à l'autre. Passée l'horreur chuchotée, vaine, tremblante, le film plonge dans une barbarie sans nom. La poésie troublante laisse place à un style excessif, vulgaire, voire même gore (la terrible scène de l'ascenseur, digne d'un Dario Argento!). C'est un chemin sans retour que Bergman emprunte, avec une aisance et une volonté qui laissent sans voix. Cette deuxième partie est probablement l'excuse à la première. Cette suite est censée conclure les idées inachevées, à tel point que le film semble sectionné de son unité et de sa cohérence par un transfert brutal. Bergman part ailleurs. Cette suite, après avoir fétichisé les éléments et les acteurs (dont la muse, l'exquise, la végétale Liv Ullmann), après avoir réalisé, comme une signature, un début grandiose et fébrile, renvoie en arrière tous les possibles du langage cinématographique de Bergman. Les êtres, déjà blessés, deviennent brisés, manipulés, interchange