Main basse sur la ville est un très bon film politique. Il aborde des sujets franchement pesants et pas du tout cinématographiques de prime abord. Des bavardages politiques, des commissions politiques, des trahisons politiques, le tout dans le milieu napolitain bien corrompu des années 60, le métrage prenait un risque, d’autant qu’il fait ça avec une sobriété de chaque instant. Pas de mafieux, pas de règlement de compte sanglants histoire de pimenter l’ensemble, non, on est dans une approche très factuelle qui pourrait faire penser plus à du cinéma vérité par moment. Rien de surprenant, Rosi était un cinéaste engagé et son film en témoigne. Le réalisateur emploie son film comme un véhicule pour dénoncer la misère des plus pauvres, la corruption, les magouilles politiques au détriment du peuple, les arrangements foireux, et finalement, le fait qu’un politique pourri finit toujours au sommet. La vision de la gauche de Rosi rappelle également à quel point ce bord politique s’est complètement perdu depuis cette époque ! L’intrigue est vraiment intéressante par son réalisme, son côté coup de poing, la manière dont elle creuse ce monde assez austère et verbeux de prime abord en le rendant divertissant. Ok, ça parle beaucoup, ça parle fort parfois, mais c’est très bien écrit. Maintenant, je reconnais que la deuxième partie, celle de la campagne politique, traine parfois un peu en longueur et que la conclusion est un peu abrupte. Rosi cherche à faire passer un message, et du coup, il faut avouer qu’il délaisse parfois l’histoire qu’on sentait se mettre en place avec la catastrophe du début et ses conséquences pour explorer les rouages d’une campagne électorale pas déplaisante mais plus classique.
Le casting est brillant, et il fallait cela pour porter une telle histoire. Rod Steiger est imposant, et j’aurai probablement vu qu’Orson Welles pour camper ce personnage à sa place. Il est Nottola à un point assez étonnant, et son personnage est délicieusement déplaisant, mais pas complètement cliché non plus. C’est aussi un élément à souligner dans le film, là où de nos jours les films de ce genre sont archi-clichés (vilains flics, pauvres jeunes de banlieue ; politiciens méchants vs politiciens gentils), ce film délaisse les clichés. Nottola est un sale type, mais en même temps il fait bouger les choses, certes à son profit mais ça amène un mouvement de modernité que la gauche n’amène pas (Rosi étant communiste) même si elle cherche à respecter la loi. Autour de Steiger, d’excellents interprètes italiens, en particulier Carlo Fermariello que j’ai trouvé parfait en tribun de gauche !
Visuellement Rosi signe un film moderne. Les décors sont parfaitement choisis, authentiques à souhait, on voit la transformation de la ville de Naples, le noir et blanc est sublime, la réalisation impeccable. La catastrophe est remarquablement filmée. Toutefois, et même si elle est parfois agaçante (volontairement je pense pour accentuer le malaise), c’est la musique qui m’a le plus bluffé par sa modernité et son audace.
Pour moi, Main basse sur la ville est encore une démonstration de force du cinéma italien de cette époque. C’est superbe, c’est intelligent, c’est parfaitement campé. Alors oui, Rosi se laisse un peu trop embarqué dans son message politique et transforme parfois son film en débats politiques longuets, en passe d’armes idéologiques, il y a quelques mollesses dans la seconde partie du métrage qui pour moi est un peu trop en rupture avec la première partie, mais quand même, un film politique de cette trempe, il y en a pas beaucoup. 4.5