Il faudrait une note à la Télérama pour transcrire ce que je pense de ce classique : d'un côté, un petit bonhomme hilare pour le chef d'oeuvre précurseur que M représente ; d'un autre côté, un petit bonhomme dubitatif avec ses yeux en l'air, navré du propos, et ce en dépit d'indéniables qualités.... Comme si le chef d'oeuvre pouvait se détacher de son contenu. Le film me paraît formellement parfait. Oh sans doute, l'on ferait moins théâtral aujourd'hui mais il ne serait pas correct de comparer les époques. Et même dans son théatralisme final, ça passe et obtient même le caractère intemporel que seuls les chefs d'oeuvre possèdent. La direction d'acteurs est fantastique, Peter Lorre en premier - ce qui suscita bien des peines pour la suite de sa carrière. D'avoir utiliser comme motif "dans l'antre du roi de la montagne", c'est particulièrement astucieux, tout comme d'avoir orienté le final vers une psychologie compréhensive, presque iréniste - une coutume judéo-chrétienne chez Lang. Pourtant, je n'aime pas les superlatifs.
Mais je vais tout de même évoquer la maladie du cinéma puisque cet engin est précurseur : M est un film expiatoire à une époque où l'Allemagne de Weimar essuie coup sur coup plusieurs tueurs en série : Fritz Haarmann, Karl Grossman, Karl Denke. Chacun de ces vrais protagonistes ont leur place attitrée dans M. C'était des tueurs effroyables comme on en voit dans les contes d'ogres, et encore aujourd'hui, ils demeurent légendaires au point de figurer parmi les personnalités historiques pour le tourisme local.
Oui, et Fritz Lang stimule ce constat, ces tueurs avaient terrorisé entièrement l'Allemagne, provoquant à la fois des réactions hystériques et de la résignation. Une Allemagne désemparée, dans une colère dissociée. Lang organise donc un état général : s'éparpille-t-il en fin de compte dans sa vision sociétale, dans sa macro-focalisation, c'est-à-dire avec avec une multiplicité des focales externes ? Je ne pense pas. Mais à quel prix ! Il se contraint à une pirouette que je trouve abject et une bonne partie du chef d'oeuvre repose sur un postulat que voici : la pègre est le miroir de la police et de la justice. Dans le déroulement comme dans la conclusion, avec ce tribunal populaire surréaliste. Dans un suspense un peu sot, il interrompt brutalement la loi du Talion pour replacer la morale au sein de la classe dominante et, ainsi, main dans la main, mafieux et fonctionnaires auront servi ou immunisé l'intérêt général. Est-ce crédible ? Oui. Est-ce cohérent ? Non.
je trouve que le film s'est enfoncé, obstiné à voir trop grand, trop religieusement (mais alors la mère allégorique et allusive, chapeau moyen !) mais aussi trop dans la confusion des genres, celle-là même qui oblige au discours unique, de la traque menée jusqu'au bouc-émissaire, peut importe qui, du moment qu'il accumule les signes victimants. C'est d'ailleurs là, la plus grande pirouette de Lang : M était le tueur et il n'aurait pas fallu que c'en soit un autre.
Pourquoi Lang est-il poussé par ce final oeucuménique qui conduit finalement à sa réussite par l'arrestation de M et sa comparution spontanée ? Cela est expliqué par d'autres symptômes de cette maladie - qui n'est pas une malédiction ! : la démagogie et le voyeurisme sous-tendus. Lang donne au spectateur ce qu'il veut voir, le terrifie avec un bon sens du jeu, et le rend fasciné par ce fait divers dont la fiction est toute relative. Le spectateur fantasme cette arrestation. Ainsi, le film le complaît dans son préjugé et je trouve assez facile d'aimer à voir un vilain méchant se faire attraper dans une insoutenable terreur. De la pirouette, du facile et du sens unique ce film alors...
Il était hors de question de faire une critique moyenne pour ce film que je pense, lui aussi, en pleine dissociation mais je ne pense pas moins les désaccords sus-nommés. C'est un film prenant et passionnel et je l'ai traité comme tel.
Pour faire court, le film est autant magnifique que spécieux.