Grand classique du cinéma expressionniste allemand d’avant-guerre, "M le maudit" résonne, aujourd’hui encore, dans la mémoire des cinéphilies, y compris de ceux qui ne l’ont pas vu, un peu comme "Citizen Kane", "Metropolis" ou "Le cuirassée "Potemkine". On a beaucoup parlé du génie visuel du réalisateur Fritz Lang, de la transgression du scénario qui touche à plusieurs tabous ou encore de sa grande lucidité face à la montée du nazisme qui transparaîtrait de son film. Et, s’il est bien évident que le film n’est pas resté par hasard aux Panthéons des grandes œuvres du 7e art, je dois admettre que je ne partage pas l’emballement général autour de ce "M le maudit", surtout plus de 80 ans après sa sortie en 1931. Car, contrairement à d’autres films sortis à la même époque (à commencer par les productions horrifiques Universal), "M le maudit" porte lourdement les stigmates du cinéma d’antan. Et c’est peu dire que le film est terriblement long dans son rythme et artificiel dans ses décors. Certains plans s’étirent au-delà du raisonnable et l’utilisation plus que modérée de la musique empêche d’apporter un peu plus de fluidité à l’intrigue (surtout lors des scènes de traque). La mise en scène de Fritz Lang m’a paru, d’ailleurs, assez inégale car, s’il est incontestable que certaines trouvailles sont brillantes (le jeu de champs et de contrechamps lors des affrontements verbaux, le plan séquence avec passage de caméra d’une pièce à une autre façon "Panic Room"… mais sans les effets digitaux) et certaines scènes sont terriblement évocatrices
(la disparition de la première gamine, le M marqué dans le dos du tueur, le final où le tueur est assailli par une foule haineuse…)
. J’ai beaucoup lu, ici et là, que la mise en scène était le gros point fort du film, voire un modèle du genre… mais, pour ma part, je n’ai pas été sensible au "travail d’orfèvre" de Fritz Lang… tout comme je n’ai pas été ébloui par l’intrigue, en tant que telle. Pour autant, "M le maudit" mérite d’être vu... ne serait-ce qu’en raison de son propos et de l’originalité avec laquelle elle traite ce fait divers terrible (inspiré de l’affaire du vampire de Düsseldorf). Car, l’intérêt de "M le maudit" ne réside pas dans l’enquête menée sur ce tueur d’enfant mais bien dans la traque organisée par la ville toute entière pour mettre un terme à ses agissements, à commencer par la pègre locale ! Les frontières du bien et du mal sont alors brouillées… et cette perte des repères habituels est bien évidemment renforcé par le portrait dressé de l’assassin, campé par un Peter Lorre, tout simplement ébouriffant. En faisant de son M un tueur d’enfant, Fritz Lang sait qu’il touche à un tabou sacré qui devrait empêcher le public de ressentir la moindre empathie pour le personnage (contrairement au "Scarface" de Howard Hawks, sorti à la même époque, avec son héros plus flamboyant). Mais, et c’est, à mon sens, son coup de génie, il prend le spectateur à rebrousse-poil en, le contraignant à entendre un discours différent venant expliquer, à défaut d’excuser, le comportement du tueur ! Le parti-pris du réalisateur donne, ainsi, lieu à une scène d’une terrible modernité
où une foule haineuse est prête à lyncher l’assassin, qui dévoile sous visage monstrueusement pathétique d’aliéné victime de ses propres pulsions meurtrières.
Fritz Lang ne se sert pas de ce subterfuge pour
amender son méchant (qui reste un danger pour la société et dont il taira, d’ailleurs, la sanction pénale à venir) mais pour dresser un état des lieux alarmant d’une société qui prône la loi du talion au lieu de réfléchir à une solution plus adaptée et efficace
. La dernière phrase prononcée dans le film
(par la mère de la première victime qui fait preuve d’une incroyable lucidité et appelle à une surveillance plus accrue de la jeunesse)
est, à ce titre, d’un pacifisme, qui frôle la naïveté dans cette Allemagne pas encore nazie mais déjà secouée par la montée de l’idéologie hitlérienne. "M le maudit" s’avère, donc, être un film au ton résolument moderne, qui s’autorise quelques artifices visuels intéressants (dans la veine expressionniste dont le film est un des fleurons) mais qui aurait, à mon sens, gagné à soigner davantage son rythme.