Beaucoup ont écrit sur ce film. Le ciné club de Caen fait une analyse du film qui me correspond donc pourquoi se compliquer la vie : « La petite Elsie Beckmann est abordée dans la rue par un petit homme souriant qui, tout en sifflotant un air de Peer Gynt, lui achète un ballon à un marchand ambulant aveugle... Un peu plus tard, la presse annonce que le maniaque assassin d'enfants vient de faire une nouvelle victime. Le commissaire Lohmann fait procéder à de nombreuses rafles qui n'aboutissent qu'à désorganiser la pègre. Celle-ci, lasse d'être continuellement importunée, décide, à l'instigation de son chef, Schranker, de retrouver le criminel. Tandis que la police utilise des méthodes d'investigation scientifiques, la pègre fait surveiller la ville par les mendiants et les clochards. L'aveugle identifie M. grâce à l'air de Grieg. Un jeune voyou le prend en filature et réussit en le bousculant à imprimer sur son manteau un M. préalablement dessiné à la craie dans la paume de sa main.
Se sachant découvert, M. se réfugie dans un immeuble administratif où il se cache après la fermeture des bureaux. Le chef de la pègre monte alors un véritable coup de main. Déguisé en policier, il se fait ouvrir, neutralise le concierge et introduit la bande à l'intérieur de l'édifice. Après de nombreuses recherches, M. est découvert et capturé. Mais un des gardiens réussit à donner l'alerte. Les truands s'enfuient sauf l'un d'eux, trop occupé à essayer d'entrer dans la chambre des coffres. Arrêté par les policiers, il avoue le véritable motif de cette opération et révèle que M. a été conduit dans une usine désaffectée. La pègre s'érigeant en Tribunal écoute M. qui expose son cas : elle le condamne à mort et il va être exécuté lorsque la police envahit la distillerie. Le meurtrier sera traduit devant une juridiction légale.
Pour Lang, l'homme, comme habité du péché originel, doit toujours réprimer ses envies de meurtres. La démocratie devrait s'opposer aux pulsions bestiales, toujours renaissantes de l'homme, et plus encore de la foule. Mais les hommes politiques n'ont pas souvent le courage de faire de la démocratie ce rempart solide contre la sauvagerie.
Dans M. le maudit, toute une société va se liguer pour éliminer un être nuisible et l'empêcher d'exister. Le film commence par une comptine : "Attends encore un peu, le méchant homme noir viendra avec sa petite hache. Il fera du hachi de toi... Tu es dehors." La petite fille, au centre, joue le rôle du bourreau et élimine de la vie les autres enfants. Dans un second cercle, elle entraîne le mouvement de la camera pour amorcer l'histoire du film : celle de la petite fille qui va être tuée par le vrai méchant homme noir.
Le scénario languien fonctionne comme une succession de pièges qui s'enchaînent les uns aux autres. C'est le ballon qui conduit la petite fille à l'assassin. Et le ballon de baudruche qui s'envole avec l'âme d'Elsie reviendra hanter M. Enfin le montage alterné entre Schraenker, chef de la pègre et le préfet piègera M. Le montage alterné procède par raccords dans le mouvement et dans le texte. Ainsi le policier succède t-il à l'escroc dans un mouvement ascendant qui succède au mouvement descendant : l'un s'assoit l'autre se lève. Pickpocket et faussaire d'un côté, policier et enquêteurs de l'autre, se répondent en champ contrechamp dans le montage alterné. Cambrioleur et graphologue, police et pègre s'allient objectivement pour retrouver celui qui dérange l'ordre économique pour la pègre, l'ordre moral et politique pour la police. Par le montage, Lang révèle ainsi la similitude entre la pègre et la police, ces deux faces d'une même société. Seules les méthodes diffèrent : la pègre cherche des traces dans le présent, la police des traces dans le passé.
Les notations sociales du film relèvent probablement de l'influence de Bertold Brecht. Mme Beckman reçoit le panier avec la même lassitude que l'autre blanchisseuse. Elle est la classe laborieuse sur laquelle tous les malheurs vont s'abattre. Son travail ne lui permet pas d'aller chercher son enfant à la sortie de l'école. Ceux qui peuvent se le permettre sont des bourgeois que l'on reconnaît à leurs beaux habits. »
Approché par Goebbels pour être le réalisateur de la propagande nazi après ce film, Fritz Lang émigrera aux EU. Comment ne pas voir pourtant dans ce film l’attaque frontale à l’Allemagne de l’entre-deux guerres. La justice expéditive et arbitraire des hommes est condamnée ici avec fermeté au profit de valeurs démocratiques bases d’une justice équitable.
Ici Fritz Lang conserve le fond d’expressionnisme allemand qui a fait son succès. Mais le traitement apporté à M le Maudit démontre dès les premiers instants le changement de style d’un cinéaste qui, cette fois, mise avant tout sur l’action et le rythme. Il reproduira ce dynamisme avec brio quelques années plus tard durant sa période hollywoodienne ; ce rythme plonge dès lors le spectateur dans une certaine paranoïa, Lang distillant scène après scène une tension imagée véritablement impressionnante. A ce titre, les séquences d’entame, utilisant encore les ficelles de l’expressionnisme, demeurent des modèles du genre, le cinéaste mettant en place les éléments d’une situation aussi dramatique que poignante. Assénant par ailleurs pour la première fois les quelques notes de bande sonore annonçant le meurtrier (un peu comme le firent Robert Mitchum et Charles Laughton 24 ans plus tard avec La Nuit du Chasseur), le réalisateur dispose, de manière intelligente, les ingrédients nécessaires à la construction d’une œuvre inoubliable.
Là où Chaplin continuait à afficher un optimisme presque inébranlable et quasi naïf en temps de guerre dans Le dictateur, œuvre où il exalte des valeurs hautement humanistes et pacifistes dans sa tirade finale. Lang présente, quant à lui, un épilogue beaucoup plus sombre. Et plus réaliste aussi.
Juste un bémol. La dernière version sortie au cinéma de 111 minutes tend à se rapprocher au plus près de ce qu’aurait fait Fritz Lang en son temps. Aucune copie originale existante, cette version est reconstituée à partir de séquences françaises et allemandes, certaines sonorisées et d’autres non. Ce montage de séquences issues de version différentes est parfois trop visible.