Pierre Etaix est un peu notre régional de l’étape du comique clownesque au cinéma, face à Chaplin, Buster Keaton, et il a cette particularité d’évoluer beaucoup plus tard, à une époque où le comique théâtral d’un De Funès s’impose déjà. Cela a sans doute contribué à rendre sa redécouverte tardive. Le Soupirant est son premier long métrage et c’est un film remarquable. Tout ou presque est là. D’abord l’émotion, car oui, les films d’Etaix sont souvent portés par les sentiments, la passion, et c’est le cas de ce Soupirant qui suit un personnage en quête d’amour mais trop maladroit pour arriver à le trouver (et pas chanceux aussi !). Ensuite, l’humour. Le film est très drôle, et comme souvent avec Etaix, dès qu’on pense que ça va baisser en régime, ben non, il ressort une blague ou un gag improbable, qu’on avait pas vu venir, n’hésitant pas, à l’occasion, à jouer sur un phénomène d’accumulation mais trouvant toujours où ne pas étendre la blague outre mesure. C’est court, très bien rythmé, très drôle, l’émotion n’est jamais triste même si parfois elle pourrait l’être, Etaix bannit la mélancolie de son métrage et il en résulte une fraicheur dépaysante et très agréable.
Là-dessus, il faut avouer que l’interprétation est brillante. Etaix, bien sûr, ce devait d’interpréter le rôle principal, tout trouvé pour lui, à la fois lunaire, gaguesque, poétique, grand enfant en résumé. Il est excellent dans le rôle. Mais il a su s’entourer d’interprètes tout aussi remarquables. Ses parents, qui auraient pu être caricaturaux sont en vérité souvent très drôles et le couple Massot-Perrone fonctionne de bout en bout. Laurence Lignères qui aurait pu être agaçante est très amusante dans son personnage truculent et pot de colle. Elle est même charmante par moment ! Karin Vesely, qui a un rôle discret, qui ne semble pas avoir fait carrière, apporte douceur et émotion et participe du final particulièrement intelligent du film. On le sent venir, et en même temps, c’était ainsi qu’il fallait que le film se termine pour conclure en beauté une idée remarquablement maline.
Comme de coutume, formellement c’est plein d’idées de mise en scène, de gags visuels qui fonctionnent du tonnerre, de bruitages astucieux… Etaix n’en est pas encore à l’ambition de réalisation d’un Yoyo par exemple, mais dans sa sobriété Le Soupirant est tout aussi efficace. Les décors de la maison bourgeoise sont riches, soignés, les balades dans Paris sont très agréables, le film est beau, et c’est aussi l’une des forces d’Etaix, à une époque où la comédie française est un genre formellement un peu bâclé, il fait des films beaux et très recherchés, ne se reposant pas uniquement sur l’humour.
Pour ma part, Le Soupirant est une totale réussite, un superbe film comique à voir et à revoir pour en apprécier toute la richesse émotionnelle et humoristique. Un film rêveur, doux, clownesque, à l’image de son réalisateur qui s’emploie à exposer tout son talent et ses multiples idées originales. 5