Les années 1980 sont difficiles pour Scorsese qui peine à séduire le public. « La valse des pantins », critique du show-business avec le duo De Niro/Jerry Lewis, est un échec cuisant. « After hours », Prix de la mise en scène cannoise en 1986, permet à Marty d’être reconsidéré. Une seconde rédemption (après « Raging bull ») qui lui permettra d’enchaîner avec un film plus commercial : « La couleur de l’argent ». Paul Newman glanera ainsi le seul Oscar de sa carrière. 1988 approche et Scorsese de terminer le film que je vais tenter de critiquer : « La Dernière tentation du Christ ». Assurément ma deuxième claque 2018 !
L’argument : Jésus Christ est-il un simple mortel ou prêche-t-il la ‘parole de Dieu’ ?
Réalisé avec les moyens du bord (avec un budget en-dessous des autres productions tels « Ben Hur » ou « Les dix commandements » pour comparer), Scorsese s’adapte en embaumant son histoire dans l’Histoire, le plus simplement possible avec des décors réducteurs néanmoins fulgurants, le moins de figurants possibles, un nombre minimum de costumes d’époque pourtant bien réalisés... . Ce qui en ressort ? Un effet ‘historique’ auquel on ne s’attendait pas : un effet ‘vite-fait’ qui nous surprend et nous amène à comprendre/analyser les motivations du personnage principal. De même, les effets spéciaux (lorsque Jésus est dans le Désert, les apparitions des serpents, de Satan, du feu…), kitsch à souhait, renforcent cet aspect ‘soudain’ du métrage, cette force d’envoûtement dans laquelle Scorsese nous plonge de manière totalement impromptue. Cette force d’enchantement est totalement soulignée par les paysages proposés par le regretté chef opérateur allemand Michael Ballhaus (collaborateur scorsesien : « After hours », « Les affranchis », « Gangs of New York ») qui nous offre des vues à couper le souffle, le tout en des couleurs tantôt épiques, tantôt qui se transforment en de noirs desseins (violence, cauchemars, la Croix du Christ, final totalement sombre). L’on suit ainsi Jésus Christ, ses apôtres et proches dans une histoire biblique faite de bric et de broc. Un effet finalement de style qui nous rapproche de la personnalité du Christ, chose voulue par Scorsese. Un manque de moyens certes, mais pour le plus grand bonheur du metteur en scène. Bravo, Scorsese. Le montage en est d’autant plus fluide, plus limpide. Et Thelma Schoonmaker, monteuse scorsesienne (récompensée par le Bafta du meilleur montage pour « Raging bull », Les affranchis », et de l’Oscar pour « Aviator » et « Les infiltrés » : rien que ça !), de répondre présente. Un style à la Scorsese bien défini pour une œuvre envoûtante.
Envoûtante, la musique l’est également. Mixée de la plus belle des manières, elle nous laisse sur place, sans voix. Elle permet de nous élever et de nous adresser à Jésus le plus simplement possible. Le compositeur n’est autre que Peter Gabriel. Les voix qui s’élèvent dans le ciel, les flûtes accompagnées de musique africaine, tout cela nous prend au cœur et c’est avec enchantement que l’un des membres fondateurs de Genesis nous emmène vers les cieux. Sublime !, Monsieur Gabriel.
De plus, le casting n’est pas en reste et Scorsese en reste digne. Amen. Willem Dafoe (acteur qui passe du cinéma d’auteur au blockbuster : « Platoon », « Sailor et Lula », et vu dernièrement dans « Seven sisters »), incarnant un Jésus Christ convaincant à souhait, forme avec l’exceptionnel Harvey Keitel (qu’on ne présente plus : « La mort en direct », « Reservoir dogs », « Copland »…) dans la peau de Judas un duo d’enfer et d’émotions. A leurs côtés, seuls le regretté David Bowie (la star de « Furyo » au cinéma), charismatique en Ponce Pilate et Tomas Arana (pointure des seconds rôles : « L.A. confidential », « Gladiator », « La mort dans la peau »), un inquiétant Lazare, tirent leur épingle du jeu. On peut néanmoins noter la présence de Verna Bloom, Barbara Hershey, Harry Dean Stanton et Juliette Caton (voir leur filmo respective !) dans des rôles oubliables, pour ma part. C’est dire la part de prestige que s’est offert le réalisateur. Une part de lion non négligeable. Bravo, Monsieur Scorsese.
« La dernière tentation du Christ » montre donc un Jésus-Christ tiraillé entre sa vie humaine et sa divinité. Scorsese joue ainsi sur tous les tableaux jusqu’à prendre parti, notamment pour la dernière heure du métrage. Le scénario de Paul Schrader, l’explorateur des tabous (réalisateur de « Blue collar », « La féline »), se basant sur l’œuvre de Nikos Kazantzakis, allant aussi dans ce sens. Ainsi, le duo qui avait travaillé sur « Taxi driver » et « Raging bull » se confronte ici au fondamentalisme primaire. Qui est Dieu, qui est Jésus-Christ, pourquoi vit-on et qui nous a donné vie. Toutes ces questions nous emportent au gré de l’histoire de Jésus-Christ et par-delà toutes les conventions. Marty, qui avait un temps pensé devenir prêtre, embrase ici sa cause perdue. La religion, remise au centre de son cinéma, atteint un paroxysme rarement atteint au cinéma. Divinité, subversion, humanité… tous les thèmes relatifs à la religion nous maintiennent dubitatifs une fois le film terminé. Et maître Scorsese de nous faire réfléchir à notre existence, notre place sur Terre… .
Deuxième chef d’œuvre pour un Martin Scorsese au sommet de son art, « The Last Temptation of Christ », film biblique, fait indéniablement partie d’un monument de cinéma.
Spectateurs, pendant le visionnage… ‘silence’ !
Interdit aux moins de 15 ans.
Notes : Tout d’abord, c’est Barbara Hershey qui a donné le livre de Kazantzakis à Scorsese sur le tournage de « Bertha Boxcar »
Ensuite, Universal a accepté de produire « La dernière tentation du Christ » si le réalisateur tournait un film plus commercial pour eux : « Les nerfs à vif » pouvait voir le jour.
Pour terminer, considéré comme un sacrilège absolu par les croyants, « La dernière tentation du Christ » a été classé sixième sur les vingt-cinq films les plus controversés de tous les temps.