Voilà bien un mythe parmi les siens. Un mythe d’action celui-ci. Piège de cristal, premier opus d’une franchise maintenant amoindrie, signé John McTiernan, est une singulière bombe générationnelle, un pilier cinématographique dans l’univers des polars d’action toutes époques confondues. Voilà donc qu’en 1988, au sortir d’un autre de ses monuments, Predator, McTiernan offre à la planète cinéma un héros décapant, un flic au physique anodin, à la chevelure fuyante et à la clope souvent pendante au bout des lèvres. Voici John McClaine, trublion violent à l’humour noir omniprésent, improbable justicier, sauveur de situations catastrophiques. Le personnage, incarné par un Bruce Willis en état de grâce artistique, est le nouveau modèle du héros d’actions contemporaines, un irascible semeur de trouble auquel on s’attache très rapidement, du fait notamment de ses nombreuses faiblesses et de ses peurs communes aux nôtres.
Alors que la FOX fignole son nouveau building à West Hollywood, la production entend bien donner ses lettres de noblesses à un bâtiment maintenant reconnu comme l’un des personnages, à part entière, du premier Die Hard. John McTiernan fait d’un simple gratte-ciel un théâtre quasi-vivant d’évènements tragiques cultes et inoubliables. La notion d’espace, de surface, du réalisateur permet l’utilisation optimale des décors, dans le fond relativement peu nombreux, qui lui sont dévolus. Evoluant d’un étage à l’autre, notre héros se bat comme un beau diable contre une troupe de terroristes européens, chair à canon pour la reconnaissance d’un flic bad-ass qui se recouvre, au fil du temps, de plaies, de sang et de poussière. Tout ici est aussi poussif que jouissif. L’hémoglobine coule à flot, les coups pleuvent, les fusillades s’enchaînent et l’humour, toujours présent, permet de ne jamais verser dans la prise au sérieux d’une entreprise qui se voulait simplement divertissante.
Le réalisateur, conscient du potentiel de son personnage et de la situation explosive dans laquelle il se trouve, n’y va pas avec le dos de la cuillère. Bruce Willis est soumis à une drastique descente aux enfers, pour notre plaisir primaire, alors qu’autour de lui, le monde semble incapable de se passer de ses services. On jubile donc à tous bouts de champs, lorsque le film confronte la virilité professionnelle des méchants à la rébellion je-m’en-foutiste d’un héros hors toutes conventions. La franchise porte bien son nom, alors que les morts brutales s’empilent et que la situation vire allègrement au chaos armé. Une jubilation. Notre flic saigne, souffre, beugle comme un damné et aligne les confrontations sanglantes. On en redemande, le tout étant habilement filmé par un cinéaste qui aura pleinement exploité les techniques de son époque.
Bruce Willis est dès lors une légende, grâce à Piège de Cristal, monument du film d’action à la valeur inestimable. Voilà un film que l’on connaît par cœur mais qui jamais ne nous rebute, ne semble vieillir ni même perdre en estime. Oh, bien entendu, quelques séquences, répliques ou retournements ne sont pas foncièrement glorieux, notamment pour le scénariste, mais ces défauts amènent certainement d’avantage encore de charme à cette production immortelle. Pour terminer, si l’on parle essentiellement de Bruce Willis à la vue du film, il convient tout de même de saluer la prestation euphorique de l’excellent Alan Rickman, archétype du méchant sabordeur du cinéma de la fin du vingtième siècle. Un must, dans tous les sens du terme. 19/20