« Haute pègre » ou « Trouble in Paradise » (titre original plus approprié) était revendiqué par Ernst Lubitsch lui-même comme son film le plus abouti stylistiquement. En quelque sorte, la quintessence de la fameuse « Lubtisch Touch » . Une appellation encore d’usage de nos jours que selon le critique américain Richard Christiansen on peut décrire comme l’assemblage unique et mystérieux des vertus suivantes : sophistication, style, subtilité, esprit, charme, élégance, suavité, nonchalance raffinée et nuance sexuelle audacieuse. C’est exactement tout ce que l’on retrouve dans « Haute pègre » sorti en 1932 qui marque les débuts d’une très riche période parlante pour Lubitsch alors sous contrat à la Paramount. Avec son scénariste favori Samson Raphaelson, il adapte une pièce de l’auteur hongrois Laszlo Aladar (parue en 1931). Le réalisateur nous emmène tout d’abord à Venise au sein de l’univers cosmopolite de la haute société du début du XXème siècle, parcourant l’Europe des palaces cherchant à tuer l’ennui en dépensant leur trop-plein d’argent. Ils sont aidés dans leur démarche oisive par des escrocs de haut-vol toujours à leurs basques pour grâce à leur entregent patiemment rodé, les divertir, les séduire et enfin les « alléger » un peu de leur « fardeau ». Deux mondes qui se frottent assidûment au point que les frontières qui les séparent paraissent parfois ténues. Gaston Monescu (Herbert Marshall) personnage inspiré d’un escroc roumain (George Manolescu) ayant publié ses mémoires en 1905 et Lily (Miriam Hopkins), après s’être reconnus de la même confrérie, forment une association fondée sur l’amour mais aussi une forme de rivalité dont Lubitsch fait son miel tout au long du film. Leur nouvelle cible est une très riche industrielle célibataire (Kay Francis). Avec brio et la forme d’élégance qui lui est propre, le réalisateur présente en entame les protagonistes, le contexte et les enjeux de l’intrigue dont il va régaler le spectateur . Les innovations de mise en scène mais aussi la très subtile drôlerie des dialogues variés et ciselés sont portées par un trio d’acteurs brillants au possible. Le très suave et policé Herbert Marshall et la piquante et tonitruante Miriam Hopkins alors au summum de sa beauté et de sa popularité, accompagnés de la très belle et sensuelle Kay Francis dont la carrière si elle a été prolifique, aurait sans aucun doute dû être plus brillante. Sa performance remarquable fait à merveille le contre-point avec celle plus fougueuse de Miss Hopkins. Les nombreuses trouvailles toujours réjouissantes additionnées au jeu des acteurs, composent la petite musique envoûtante et indicible que l’on nomme « Lubitsch Touch ». Du grand art assurément qui fait dire que la très flatteuse réputation de Lubitsch qui perdure par-delà les décennies (Wes Anderson s’est réclamé de « Haute-pègre » lors de la sortie de « Grand Budapest Hôtel » en 2013) n’est en rien usurpée.