Le concept est simple : une rencontre dans un train, une nuit à Vienne, et un au revoir. Tout aurait pu être convenu, sans intérêt et lourd, mais c'est sans compter sur la direction prise par l'écriture de Richard Linklater et Kim Krizan ainsi que par la fraîcheur du duo d'acteurs. Que ce soit la toute-mignonne Julie Delpy ou le type maladroit (mais pas trop non plus) qu'est Ethan Hawke. Des personnages qui baignent dans une sorte d'insécurité, un peu fous sur les bords, se voulant indépendants et pourtant si incertains du chemin à suivre, tâtonnant dans la vie pour trouver leur place. Il y a une fragilité qui se dégage de leurs caractères et de leur lien, comme des enfants qui auraient grandis trop vite et qui ne savent pas trouver leur place dans ce monde d'adultes. C'est en faisant de leur rencontre une suite d'idées partagées, d'incertitudes avouées, de peurs communes, que Richard Linklater livre une histoire romantique plutôt originale car désireuse de sortir des clichés du genre, et ce grâce au refus même des personnages de s'enliser dans ces clichés.
Pourtant, et c'est ce qui fait aussi le charme de ce film, même en essayant de paraître différents, les personnages ne peuvent s'empêcher d'avoir les mêmes rêves idiots, les mêmes désirs naïfs, et ça fait donc d'eux des personnages à la fois fascinants et touchants, pour tous les contrastes qu'ils exposent involontairement. La réalisation subit aussi ces contrastes puisque dépendante de ses personnages, elle est donc détachée des sentiers battus même si elle ne peut s'empêcher d'y bifurquer de temps à autres. De lieux intimes en lieux intimes – une ruelle isolée, un cimetière abandonné, un coin de pelouse différent – s'instaure une grande réflexion sur la capacité des individus à vivre ensemble, sur la vie, la mort et tout ce qui semble préoccuper nos personnages. Les dialogues pourraient paraître prétentieux et répétitifs, et pourtant, sortant de leurs bouches ils deviennent sincères et communicatifs.
C'est sur un coup du hasard que s'opère leur rencontre, grâce à un couple allemand en pleine dispute, et tout le film jongle sur ses fameux coups du hasard et autres signes du destin. Cette longue nuit dans les rues viennoises devient un espace-temps unique, où seul leur discussion importe, comme une illusion créée à partir des regards, des sourires ou des gênes apparents. Le film est véritablement un rêve éveillé dont on connaît l'issue, le réveil fatidique, mais qu'on ne veut pourtant pas quitter. Les silences sont significatifs, presque autant que les mots, le vide laissé dans les lieux de la ville après leur départ aussi, comme si ces moments d'intimités, que seules leurs mémoires garderont précieusement, flottent encore dans l'atmosphère.
Alors oui, le côté ultra-poétique de la ville européenne connaît ses limites, mais qu'importe, la magie plane sur tout le film, une magie à la fois mature et immature, certaine et incertaine, semblable aux personnages, qui offre un moment de cinéma drôle et touchant, et qui donne envie de voir la suite. Before Sunrise c'est ce moment de beauté unique, avant que le soleil ne perce à travers les nuages, quand le ciel est encore sombre et brumeux, permettant les illusions et les rêves les plus fous.