Dennis Hopper était un personnage hors norme du cinéma américain. Acteur, peintre, photographe et réalisateur à la carrière très prolifique malgré une addiction à la drogue qui l’aura accompagné une grande partie de sa vie d’adulte. L’acteur aux 115 films, se sera intéressé assez tôt à la réalisation avec « Easy Rider » (1969), film qu’il concocte avec ses copains de débauche, Jack Nicholson et Peter Fonda. Film emblématique du mouvement hippie, « Easy Rider » assoie sa réputation auprès de la critique qui s’enflamme pour une première œuvre certes lourde de sens, dénonçant le rejet d’une partie de la jeunesse par les forces conservatrices américaines, mais aussi plutôt foutraque. « The last movie », tourné en 1971 et narrant le tournage d’un western au Pérou provoquant une montée de violence parmi les habitants du village une fois l’équipe partie fut désavoué par Universal condamnant le film à la confidentialité.« Out of the blue » en 1980, portrait d’une famille dysfonctionnelle est un véritable succès, la réalisation comme l’interprétation de Hopper en père alcoolique seront saluées par la critique. En 1988, revenu au premier plan en tant qu’acteur avec « Blue velvet » (1988) de David Lynch, il s’attelle à la réalisation de « Colors », film sur la guerre des gangs inter-ethniques qui mine les faubourgs malfamés de Los Angeles. Sans concession, « Colors » montre la face cachée de la mythique Cité des Anges à travers les déambulations de deux flics de générations différentes qui vont devoir dépasser leurs tempéraments et leurs approches opposées du métier de flic pour parvenir à mettre la main sur celui qui a perpétré un massacre en guise de représailles. Deux heures durant et sans relâche, la caméra de Hopper suit les deux hommes dans les quartiers déshérités, cherchant à recueillir les informations et les appuis nécessaires pour tenter de coincer le coupable et stopper ainsi l’escalade de la violence. Sean Penn est le jeune flic instinctif et nerveux qui cherche à en découdre dont le comportement est parfois semblable à ceux qu’il pourchasse. Robert Duvall est l’ancien à quelques semaines de la retraite qui vise à atteindre la sortie sans dommage tout en mettant un point d’honneur à faire son métier jusqu’au bout. Pour cela il doit calmer les ardeurs de son jeune collègue souvent sur la tangente. Pas d’intrigue parallèle pour entretenir le suspense, juste deux hommes et leur voiture arpentant les quartiers et leurs points de deal tenus tantôt par les « latinos » tantôt par les noirs. Deux communautés qui s’affrontent tout en entretenant par instant des liens fraternels. Une vision de la vie dans les ghettos urbains que Hopper a voulu la plus réaliste possible, choisissant de tourner dans les quartiers en question, faisant accompagner les acteurs par des gardes du corps recrutés parmi des gangs locaux. Le tout rythmé par la musique immersive d’Herbie Hancock qui nous rappelle que le rap et le hip-hop américain c'est tout de même autre chose. L'ensemble magistralement filmé par le directeur de la photographie expérimenté qu’était alors Haskell Wexler. Petit cousin du chef d’œuvre, « Les flics ne dorment pas la nuit » (1972) de Richard Fleischer, « Colors » alerte sur la déshérence des quartiers populaires livrés à eux-mêmes que n’ont pas dû voir beaucoup de politiques français. Un film qui parle aussi du temps qui passe et de la roue qui tourne à travers la relation entre les deux flics interprétés par deux acteurs qui ont laissé leur ego au vestiaire pour servir le propos de Hopper ici très inspiré.