David Goodis, au même titre que Jim Thompson, auteur maudit du roman noir américain, écrit sur ce qu'il a toujours vécu. Banni des publications américaines pendant une trentaine d'années, Goodis doit, en partie au moins, son salut et sa résurrection littéraire dans son pays originel grâce à l'intérêt des Français pour son œuvre. Goodis? Un nom qui n'est pas forcément significatif, mais qui, pourtant, est lourd de succès cinématographiques : retenons "Down There", devenu "Tirez sur le Pianiste" une fois traduit, et adapté par Truffaut avec Charles Aznavour ; "Dark Passage", traduit par "Cauchemar", et adapté par Delmer Daves au cinéma, avec Humphey Bogart et Lauren Baccall, sorti en France sous le titre "Les Passagers de la Nuit" ; "The Moon in the Gutter", fidèlement traduit par "La Lune dans le Caniveau", adapté par Jean-Jacques Beineix, avec Depardieu et Natassja Kinski ; "The Burglar", titré "Le Casse", adapté par Henri Verneuil avec Belmondo et Omar Sharif ou par Paul Wendkos, avec Jayne Mansfield et Martha Vickers, sous le titre "Le Cambrioleur" ; ou encore Nightfall, adapté par Jacques Tourneur.
Une importante filmographie tirée de l’œuvre crépusculaire d'un géant oublié de la littérature américaine des années 30-40. "Street of no Return", maladroitement traduit par "Sans Espoir de Retour", s'inscrit en droite ligne de ce style de roman autobiographique caractéristique chez Goodis : l'alcoolisme, qu'il a connu ; la pauvreté ; la solitude...
Le film de Samuel Fuller apparaît comme relativement inégal. A l'heure d'aujourd'hui, nombre d'aspects paraissent particulièrement kitsch, notamment la musique, sorte d'hybridation bâtarde entre Neil Diamond et le son "west-coast" si stéréotypé. Étant originellement chanteur (ce qui n'est pas le cas dans le roman), le personnage interprété par Keith Carradine nous offre quelques passages assez bouffons. C'est le cas d'une séquence de concert, qui vient ralentir le rythme de l'intrigue, sans rien y apporter de vraiment concret, dégoulinant de mièvrerie agaçante et latente. De même, les images répétées du clip de la chanson "Street of no Return" semblent assez ahurissante, avec sa belle demoiselle sur un cheval qui porte, pour tout vêtement, un minuscule bas de maillot de bain...pas très crédible tout cela, et très dispensable dans la construction du récit.
Autre passage discutable : la fin, qui s'étire en longueur, en effets de fumée ratés (on ne voit souvent rien et il y en a partout).
La musique, que je viens d'évoquer, n'est pas non plus exceptionnelle : à grands renforts de boîtes à rythme et de synthétiseurs criards, Karl-Heinz Schäfer, le compositeur, décrédibilise la force des images montrées. Des plans sombres, glauques, sur une musique hachée purement 80's, ça n'aide pas vraiment pour construire l'ambiance propice au récit... Et les monteurs et monteuses (qui sont près d'une vingtaine sur ce film!) en abusent, comme lors de cette séquence où Carradine menace un gang d'une grenade : beaucoup d'effets qui ridiculise la scène...
Les acteurs sont globalement bons ; Carradine ne casse pas des briques, Valentina Vargas encore moins, mais dans l'ensemble, les prestations s'équilibrent et permettent de se concentrer sur l'histoire sans repenser au jeu d'acteurs.
Les images sont belles, signées Pierre-William Glenn, directeur photo (tout de même) de chefs-d’œuvre tels "Série Noire" et "Le Choix des armes" de Corneau, mention faite au début, baignant dans une ambiance onirique et surréaliste, avec de beaux jeux d'ombres et de couleurs sombres bien organisées. Cette photographie imprègne beaucoup le film, et est un plus dans l'élaboration de la crasse et de l'abîme où nagent les personnages. Malheureusement, sûrement pour créer le contrepoint, Fuller filme les flashbacks (portés sur un bonheur passé et éphémère) avec une certaine luminosité, assez fade ; bilan : certaines scènes de ce genre semblent plus relever du mauvais téléfilm ou d'un épisode de Derrick que d'un film d'auteur...
La mise en scène est globalement bonne, offrant quelques plans ingénieux (comme ce jeu de miroirs dans la scène post-coïtale entre Vargas et Carradine, ou certaines contreplongées).
Pour résumer, "Street of no Return" constitue un certain intérêt indéniable, ne serait-ce que lorsqu'on est fan du grand Goodis ou de film noir, mais se révèle relativement dispensable, au vu de ses nombreux défauts, généralement imputables à un désir de s'ancrer dans "l'air du temps" du film - un temps qui, malheureusement, le "ringardifie"...