Je t'aime, moi non plus.
Notorious : je vois donc je suis. Il y a l’histoire et il y a les images. Je parlerai des images. Cary Grant est à son sommet. Il est beau, il est grand, il est élégant, mais voilà, il n’aime pas les femmes. Et Hitchcock le sait. Il lui présente la plus belle femme qu’on puisse imaginer – Ingrid Bergman – et il attend. Cary Grant est invité chez elle, pour une soirée. Il est assis de dos, dans un fauteuil, et il l’observe, au milieu de sa Cour. Il est à la place du spectateur et il la regarde sans rien dire. C’est une ombre imposante, la nuque droite, qui se laisse envahir par la beauté lumineuse d’Ingrid Bergman. Il tombe sous son charme presque immédiatement. Mais il refuse de l’admettre. Elle le regarde et lui sourit, fascinée. Il reste de marbre. Ils se disputent, ils se battent. Il ne change pas, enfermé dans sa tour d’ivoire. Le temps passe. Il n’y a plus qu’une solution. L’envoyer dans les bras d’un autre homme. C’est le désir de l’autre qui pourra éveiller son propre désir et fendiller son armure. Claude Rains arrive ; Ingrid Bergman l’épouse et lui livre son corps, son désir restant intact pour Cary Grant. Elle se retrouve prisonnière de son mari et de sa belle-mère. Elle est enfermée dans un château maudit, telle une princesse de conte de fée, entre Barbe bleue - le maître des clés - et sa marâtre acariâtre. Cary Grant, son chevalier servant, souffre longtemps, s’interroge, tergiverse, et puis agit enfin. Il court vers elle, grimpe les escaliers puis l’arrache des mains de celui qui avait programmé sa mort, Claude Rains. C’est quand Eurydice est aux portes de l’Enfer qu’Orphée vient l’arracher à son destin. Désormais ils n’ont d’yeux que pour eux. Nul regard en arrière ne pourra les renvoyer à la mort. Les voici réunis dans une étreinte éternelle… Alfred Hitchcock savait non seulement que Cary Grant (l’acteur) ressentait de la défiance vis-à-vis des femmes, qu'il était homosexuel, mais également que c’était un agent secret au service de l’Angleterre pendant la guerre. Il a intégré tous ces éléments au film. Son oeuvre est une biographie. C’est ce qui fait sa force. L’histoire du film ne s’arrête pas en 1946. David Lynch a donné une seconde vie à Hitchcock et à Cary Grant à travers ses propres films ; mais ceci est une autre histoire…