« Touchez-pas au Grisbi » de Jacques Becker ayant été un énorme succès, confirmant le retour en grâce de Jean Gabin et l’appétence du public pour les films inspirés de la Série Noire créée par Marcel Duhamel en 1945, il ne faut pas longtemps pour que l’idée de produire à nouveau Gabin dans l’adaptation d’un roman issu de la fameuse série soit dans l’air. Créée tout d’abord pour populariser les auteurs anglo-saxons qui ont fait les beaux jours du film noir à Hollywood comme James Cain, Raymond Chandler, James Hadley Chase, Peter Cheney ou Dashiell Hammett, la collection donne rapidement sa chance à des auteurs français. Après Albert Simonin c’est Auguste Le Breton qui contribue à faire connaître le « polar » à la française. L’énorme succès du « Rififi chez les hommes » mène à son adaptation cinématographique par Jules Dassin récemment exilé d’Hollywood.
« Razzia sur la chnouf » est donc proposé à Jean Gabin qui s’il a tourné dans quatre films depuis le film de Jacques Becker dont « French Cancan » de son ami Jean Renoir, n’est pas mécontent de se replonger dans le genre qui lui a sauvé la mise et dont il sait qu’il pourra lui offrir de multiples rôles de chaque côté de la barrière qui sépare les flics des voyous. Henri Decoin avec lequel Gabin a tourné l’excellent « La vérité sur Bébé Donge » (1951) se charge de la mise en scène pendant que Le Breton (qui fera une apparition dans le film) se voit confier les dialogues truffés de l’argot qu’il connaît bien, non sans avoir imposé Maurice Griffe pour parfaire l’adaptation de son roman. Assez loin de la sophistication visuelle du « Grisbi », « Razzia sur la chnouf » propose une description quasi-documentaire du petit milieu de la drogue parisien qui, mine de rien, fait déjà des ravages même si sa confidentialité lui confère encore une certaine mystique.
À travers
un flic (Jean Gabin) infiltré de longue main, sous l’alias du « Nantais», chargé de redresser pour le compte d’un caïd (Marcel Dalio) une filière parisienne qui ronronne
, c’est un voyage au sein des différentes strates du trafic qui constitue le fil rouge de l’intrigue. Du caïd cynique et sans scrupule, aux réflexes de chef d’entreprise, guidé par le seul profit jusqu’aux consommateurs, en passant par le chimiste, les chefs de réseaux et les passeurs, rien n’échappe au regard aiguisé d’Henri Decoin qui se révèle comme toujours efficace car très fluide dans l’articulation des scènes et démontrant un sens du rythme qui permet à ses meilleurs films de passer le cap des ans. On pourra seulement lui reprocher de quelquefois se laisser aller à certaines facilités comme avec la scène de la rafle dans le restaurant du « Nantais » où tout le milieu vient se restaurer qui se termine par un amas "énaurme" de flingues en tous genres planqués sous les tables. Idem pour le rôle confié à Lila Kedrova, junkie sur laquelle « Le nantais » s’apitoie, sans doute un peu trop teinté d’un pathos qui s’il émeut, constitue une digression ralentissant l’action. Enfin, le final dans la planque n’est pas non plus d’une crédibilité à toute épreuve.
Ancien sportif de très haut niveau, Henri Decoin qui aimait la vie sur les plateaux, considérait (comme le confie Michel Deville, son assistant sur huit films) chaque film comme un match à gagner. Cette générosité dans l'effort donna une cinquantaine de films en 33 ans de carrière, là où Jacques Becker n’en tourna que 16 en 25 ans. D’où ces petites déperditions qui placent « Razzia sur la chnouf » quoique très convaincant un peu en dessous de « Touchez pas au Grisbi », où chaque détail avait été soupesé. On notera le retour de Lino Ventura toujours impeccable qui n’avait pas tourné depuis « Touchez pas au grisbi » et qui était retourné à son job d’organisateur de matches de catch. Après cette seconde prestation, il ne quittera plus les plateaux. Magali Noël débutante est tout à la fois ravissante et convaincante. Marcel Dalio revenu d’Hollywood est d’une efficacité redoutable dans un rôle court mais déterminant. Enfin, Lila Kedrova avec son physique si particulier, ajouté à son accent russe diffuse à chacune de ses apparitions, fragilité et souffrance. Quant à Paul Frankeur, il n’a qu’un rôle mineur mais roboratif. C’est sûr, en ce mitan des années 1950, Gabin était bien de retour