Mais qu’est-ce que c’est donc que ce "Marie-Octobre" ? "Marie-Octobre", c’est beaucoup de choses sauf du conventionnel. "Marie-Octobre" est un film sur lequel figurent onze noms (pour certains de renom) menés par un douzième, Julien Duvivier. "Marie-Octobre", c’est une sorte de polar noir. Mieux, "Marie-Octobre" est un huis-clos au suspense savamment entretenu. Mais bizarrement, "Marie-Octobre" est aussi un rôle-titre qui sera en retrait pendant une grande partie du film. Pour être plus précis, il y a plusieurs choses qui frappent d’entrée. Et malgré la présence du rôle-titre, "Marie-Octobre" est un film où… il n’y a aucun rôle principal à proprement parler, ou si vous préférez un film durant lequel chaque protagoniste devient chacun son tour le personnage principal. La première étant les percussions qui accompagnent l’arrivée de Lucien (Paul Frankeur) et qui annoncent déjà une intrigue tendue. Pourtant nous arrivons dans une ambiance détendue, avec un esprit bon enfant. Tu penses ! Des anciens camarades de la résistance se retrouvent après plusieurs années… Cela dit, c’est un film qui pourrait se passer aisément de synopsis, du fait que François (Paul Meurisse) plante le décor et que ladite Marie-Octobre dévoile le pourquoi de cette réunion. La seconde chose qui frappe se situe dans les décors. Il n’y a qu’à voir les plafonds aux poutres finement sculptées ! Il est presque dommage que le film soit seulement en noir et blanc car ça empêche les amoureux des belles bâtisses de savourer les vrais couleurs de ce trésor d’architecture et de décoration intérieures. Observez le parquet, tant que vous y êtes. Il ne s’en pose pour ainsi dire plus des comme ça, ou alors gare à votre portefeuille ! Mais quels décors, bon Dieu ! Quels décors ! Et puis la troisième qui frappe d’entrée est la qualité de la pellicule. Bon je me doute bien évidemment que ce film a été restauré, mais quand même ! Le noir et blanc est superbe, avec un magnifique contraste. Mais est-ce que tout ça suffit pour faire un bon film ? Bien évidemment que non : il faut que le reste suive. Ici c’est le cas. Après une banderille d’humour sortie de la bouche de Carlo joué par Lino Ventura (« comme cinéma à domicile, j’ai ma femme »), l’ambiance change brutalement. La camaraderie laisse d’un seul coup d’un seul la place à la suspicion de tous les instants. Le scénario et les dialogues sont particulièrement bien écrits car chaque mot, chaque comportement comptent. La parole est donnée à tour de rôle à chacun des protagonistes, jamais très nombreux à parler en même temps. Deux, trois, tout au plus quatre alors que la situation a de quoi créer la plus grande confusion. Seulement nous avons affaire à des personnes civilisées, qui savent se tenir, même si l’un deux a les nerfs en pelote et ne demandent qu’à s’exprimer. Voilà comment cela permet à chaque personnage d’occuper, ainsi que je l’ai dit plus tôt, le devant de la scène à tour de rôle, y compris la gouvernante jouée par une trop mignonne Jeanne Fusier-Gir. Mignonne au sens affectueux du terme. Et j’ose même dire que les dialogues sont pointus, en partie grâce à des références avisées, du genre l’évocation de Ponce Pilate ou une remarque également avisée telle que celle-ci : « nous ne sommes pas treize, mais il y a un Judas parmi nous ». Evidemment, si le spectateur ne se réfère qu’aux mots, il remarquera que Julien Duvivier, sur l’œuvre de Jacques Robert, a su mélanger les pistes un peu à la façon de "Dix petits nègres". J’avoue avoir eu une petite pensée pour ce fameux roman d’Agathie Christie… Mais si le spectateur est attentif au langage corporel, il devinera ou pas s’il ne sait pas le décoder qui est le fameux traître recherché… s’il y en a un. Ah ben hein, je ne vais tout de même pas vous révéler ce qui représente tout l’intérêt du film, tout de même ! Personnellement, j’avais deviné. Enfin pour être plus correct, je soupçonnais. Mais le plus fort dans tout ça, c’est que ce sera Marie-Octobre qui aura le dernier mot, cela sans même prononcer un mot. Cela avec l’aide de quelqu’un qui aura disparu de nos radars sans que nous nous en apercevions. Remarquable. Les dernières répliques de la splendide Danielle Darrieux n’auront plus guère d’importance, mais pas sans conséquences, qu’elles soient heureuses ou malheureuses. Alors oui c’est un film durant lequel il n’y a guère d’action. Oui c’est un film très bavard. Mais c’est un film rudement maîtrisé : réalisation, montage, acteurs, rythme, occupation de l’espace… Pour moi une seule scène perfectible, ce qui m’empêche de donner la note maximale. Aussi je trouve totalement anormal que ce film soit aussi méconnu. Mais quelle belle image quand on voit tout le monde sur le même plan dans ce décor somptueux. Ça aurait fait une sacrée belle photo, voire même un tableau. Une belle façon de la part de Duvivier de remercier tout le monde d’avoir servi une prestation irréprochable.