Quinze ans après le « Duel » de tôle froissée et de métal hurlant, Robert Harmon nous livre avec « Hitcher » la version de chair et de sang du (télé)film de Spielberg.
Nous sommes dans le sud des États-Unis ou l’on sait depuis le début des 70’s qu’il n’est pas très prudent de s’aventurer sur l’asphalte des interstates, ces lacets jaunâtres s’étirant a perte de vue et dont l’impression d’immensité se trouve démultipliée par une oppressante sensation d’isolement (ceux qui comme moi ont vécu cette expérience savent que je suis loin d’exagérer…), quand ne se rajoute pas une écrasante chaleur estivale (…très loin même !).
Si l’on peut rouler des heures sans croiser âme qui vive, depuis le crazy truck de Spielby (1971), les ploucs cannibales de Hooper (« Massacre a la tronçonneuse » -1974) et ceux de Craven (« La colline a des yeux »-1977) ou la secte satanique de Starrett (« Course contre l'enfer »-1976) la balade peut subitement virer au cauchemar (ceux qui comme moi ont connu…je plaisante !). Ce qui ne va pas empêcher Jim Halsey (C. Thomas Howell), probablement trop jeune pour connaitre les mésaventures de ses prédécesseurs, de convoyer une voiture sur ces routes désertiques.
Au moment où il embarque un autostoppeur, même sans tronçonneuse ni peau de bête, on se dit quand même que le gars est un peu du genre inconscient (bon, il est jeune…). Surtout lorsque quelques minutes avant, à cause d’un cruel manque de sommeil, il manque de percuter un camion de face.
Ce passage, dont il sort miraculeusement indemne, n’a rien d’anodin pour la suite, contribuant grandement à semer la confusion dans nos esprits...
Après cet assoupissement, l’apparition sous une pluie torrentielle de John Ryder (Rutger Hauer) à la silhouette iconisée par un cache-poussière westernien, prend une allure spectrale suffisamment troublante pour nous empêcher de faire le distinguo entre réalité et cauchemar. Une déroutante sensation qui ira crescendo avec le comportement du Hitcher, une « véritable » (de ce côté-là, pas de doutes !) machine à tuer. Femmes, hommes, enfants, touristes, flics, commerçants…il ne fait aucune distinction dans le choix de ses proies, pas plus qu’il ne justifie les motivations de ses actes.
Le psychopathe va se doubler d’un joueur du genre pervers narcissique et s’amuser avec ce gamin qui a eu l’insolence de l’éjecter de la voiture, et surtout…de lui échapper. La chasse prend alors l’allure d’un incroyable jeu du chat et de la souris entre les deux hommes, ou quand un décor gigantesque peut, par la grâce d’une mise en scène immersive et d’un scénario diabolique, nous paraître infiniment petit !
Rutger Hauer nous ressort sa stature de réplicant, le sourire narquois et cynique en plus, sous une raideur et une détermination très Terminator-ienne.
Robert Harmon parvient à faire de ce road treap un triller psychotique d’un nihilisme glacial, certains passages se révélant effrayant, quand on ne bascule pas dans le pur horror movie, notamment avec cette sidérante scène d’un poste de police transformé en abattoir…
Jennifer Jason Leigh, dans son costume de serveuse de bar, retrouve Rutger Hauer un an après « La Chair et le Sang », dans un rôle beaucoup plus secondaire. Mais sa romance expéditive avec Jim, en s’achevant sur un insoutenable écartèlement, aura pour effet de provoquer la mutation du jeune garçon en adulte, et le film de basculer en un impitoyable rape and revenge. L’affrontement final entre les deux antagonistes parachèvera violement un des thrillers les plus terrifiants des 80’s, un véritable sommet de terreur anxiogène. C. Thomas Howell s’est définitivement émancipé de sa peau du teenager de « E.T » (1982). Quant à Rutger Hauer, il trouve dans le manteau de ce « Hitcher » probablement son plus grand rôle, avec celui dans « Blade Runner » (1982), de ceux que l'on n'imagine pas incarné par un autre acteur, preuve s’il le fallait celui de son avatar insipide dans le remake fadasse de 2007.
Robert Harmon ne connaitra pas la carrière que cette pépite pouvait laisser augurer, la suite de sa filmographie relevant du domaine de l’anecdotique. Dommage, quand on voit combien ce film conserve autant de force trente deux ans plus tard!
Quant aux Sud des USA, l’apparition soudaine d’un pouce tendu sur le bord d’une de ses routes désertiques provoquera depuis ce film une peur irrationnelle, véritable hitcherophobie. Ceux qui comme moi ont vécu cette expérience après avoir vu « Hitcher », savent que je suis loin d’exagérer…et de plaisanter !