Je vais vous avouer une chose, j'ai vu « L'auberge rouge » deux ou trois fois, mais toujours de façon morcelée. C'est la première fois que je vois le film dans son entièreté. Je ne suis pas un grand admirateur de Fernandel mais j'apprécie beaucoup les films de Claude Autant-Lara (période 1940 – 1950). Tout au moins les sujets qu'il « osait » aborder. On a souvent critiqué à tort son classicisme, qu'il mettait au service de sujet mordant et acide. Ici, le metteur en scène s'empare d'un fait divers survenu au début du XIXe siècle, qui a longtemps défrayé la chronique. Traité sur le mode de la farce, le film reste néanmoins un film noir qu'on pourrait qualifier de tragi-comédie
de l'absurde et du grotesque. Le réalisateur s'en donne à cœur joie et tape allègrement sur l'église et la bourgeoisie. Anticléricale, Claude Autant-Lara tourne l'institution religieuse en ridicule au fur et à mesure que le moine (Fernandel, plus sobre qu'à l'habitude) essaie désespérément de sauver les voyageurs de la diligence d'une mort certaine... Ces mêmes voyageurs, de classes sociales supérieures (bourgeois et noble), ne sont pas épargnés eux aussi. Le réalisateur dénonce leur futilité, leur suffisance et leur générosité de circonstance tout en les rendant ridicules (la scène de la célébration du mariage).
Je note, tout de même, que la diligence et ses voyageurs renvoient, peut-être, à la diligence de "Boule de Suif" de Guy de Maupassant, tout en renvoyant à l'adaptation personnelle et acide qu'en avait fait Christian-Jaque en 1945. Sauf qu'ici la prostituée au bon coeur se transforme en ange de la mort (Mathilde, la fille des aubergistes)...
Le couple d'aubergiste et leur fidèle acolyte, sont de véritables affreux sales et méchants, surtout le mari, incarné par un Julien Carette parfait en assassin sans scrupules et qu'il l'assume. Quant à l'épouse, incarné par Françoise Rosay, tout aussi détestable, elle manifeste des velléités d'absolution de ses péchés… Innombrables et impardonnables! Histoire de soulager sa conscience tout en étant à moitié pardonnée… D'ailleurs, cela nous vaut une scène mémorable et hilarante où le moine confesse cette dernière, derrière une grille tenue à la main.
Autre scène mémorable, la scène du mariage entre Mathilde (Marie-Claire Olivia) et Jeannou (Didier d'Yd), où le moine, pour retarder cette union sacrilège, nous livre un homélie anti mariage mordant bien que parfois réaliste,sous les ronflements grotesques des voyageurs endormis…
À la fin, cynique à souhait, seule ses deux derniers personnages semblent être rachetés par le réalisateur et co-scénariste. Est-ce que dans l'esprit d'Autant-Lara l'amour est la seule possibilité de rédemption ? Il nous montre que l'amour peut pardonner…
Mal reçu à l'époque par la critique, ce film est un bijou d'humour noir à l'anglaise. Le remake réalisé en 2007 fait plus "vieillot" que l'original réalisé en 1951 et cela montre à quel point ce film n'a pas vieilli et devenu un classique indémodable.